Derrière les portes closes, les députés péquistes qui prenaient la parole ne pouvaient s'empêcher d'y aller d'une flèche, ironique, aux nombreux prétendants potentiels à la succession de Pauline Marois.

«Je veux d'abord dire que je n'ai pas l'intention de me présenter au leadership», répétaient, sourire en coin, les députés au début de leur intervention à leur caucus de la semaine dernière. C'était un pied de nez, sarcastique, à la ribambelle des «courtisés», les candidats potentiels qui venaient d'exécuter la danse des sept voiles devant les journalistes pour laisser planer le doute sur leurs intentions réelles.

À ce jour, Pierre Karl Péladeau a peut-être gagné la sympathie de ses collègues en refusant tout net de jouer l'indécis. En l'absence de règles officielles, toute supputation sur une éventuelle course est nulle et non avenue, a-t-il laissé tomber, se démarquant de ses collègues «en réflexion».

Carte maîtressse

Mais c'était avant que Bernard Drainville n'abatte une carte maîtresse. Avec un texte très minutieusement rédigé, cette semaine, le député de Marie-Victorin vient occuper, le premier, un espace qui risque d'être bien convoité par ses adversaires: il est susceptible de rallier les péquistes les plus pragmatiques qui croient qu'un gouvernement, même souverainiste, ne peut proposer de tenir un référendum dans un éventuel premier mandat.

Quelques coups de fil donnés hier à des sympathisants de Véronique Hivon ou de Martine Ouellet montraient que Drainville avait fait mouche. La souveraineté est repoussée de dix ans, à 2023, mais la question de Drainville serait limpide. Chez les péquistes, au sein de l'ancien gouvernement Marois, on en convient rapidement: plusieurs ministres auraient souhaité que Pauline Marois s'engage clairement à ne pas tenir de référendum durant la dernière campagne électorale. En niant l'évidence, elle a fourni des munitions à Philippe Couillard durant les débats télévisés.

Le 4 octobre, à Sherbrooke, les présidents de circonscription seront réunis pour discuter des règles de la course. Il est déjà acquis que l'idée d'un «suffrage universel» où tous les citoyens auraient le droit de vote sera passée à la trappe. Elle supposerait des changements aux statuts du PQ, un congrès spécial qui entraînerait des retards: le successeur de Pauline Marois ne serait alors connu qu'en mai 2015. Or il faut que les choses aillent bien plus rondement, pensent les stratèges péquistes inquiets de voir leur parti, sans chef, sous les 20% dans les intentions de vote.

Pour se démarquer de Drainville, Péladeau devra-t-il jouer dans les nuances, revenir aux sempiternelles circonvolutions du PQ sur le processus d'accession à l'indépendance? En abattant sa carte le premier, Drainville occupe la zone la plus confortable, la plus proche de l'humeur de l'électorat. Ses détracteurs se préparent à lui attribuer les déboires du PQ, en tant que «père de la Charte des valeurs», une stratégie qui vaudra à l'ancien journaliste le désaveu éternel de Jacques Parizeau, indique-t-on. Pierre Karl Péladeau ne sera pas en reste: bien des péquistes lui attribuent la défaite d'avril dernier. L'aile sociale-démocrate est encore dominante au PQ et le champion québécois des lock-out a un défi énorme s'il veut la séduire.

Dans les officines péquistes, bien des militants s'interrogent: la multiplication des aspirants à la succession de Pauline Marois favorisera-t-elle l'arrivée de Pierre Karl Péladeau? Ce n'est pas ce que pense Pauline Marois, qui a même passé un coup de fil à Jean-François Lisée pour le dissuader de se lancer dans la course. Depuis sa nomination comme président du conseil d'Hydro-Québec jusqu'à son atterrissage percutant comme candidat dans Saint-Jérôme, il est clair que PKP a bénéficié de l'appui indéfectible de Mme Marois. Mais on peut se demander, après la raclée d'avril dernier, si elle a encore beaucoup d'ascendant sur les troupes. Elle qui avait promis de ne pas jouer les belles-mères aura bien mal jaugé l'humeur des militants et surtout bien mal évalué la discrétion de son interlocuteur, toujours «intéressé», en réflexion pour briguer ce poste «en prolongement» de toute sa carrière.

Regroupement de candidats

Mais en coulisse, un regroupement de candidats semble se préparer - on ne devrait pas assister à la course à sept de 2005. Véronique Hivon, Alexandre Cloutier, Sylvain Gaudreault et Jean-François Lisée communiquent régulièrement, restent en contact. Et il faut prévoir des alliances entre eux. Déjà Mme Hivon est hésitante, indique-t-on. Des appuis acquis à Martine Ouellet, la candidate de la gauche, vacillent désormais. Certains restent indéfectibles, comme Pierre Dubuc du SPQ Libre, mais d'autres, comme son compère Marc Laviolette, ont reçu favorablement la prise de position de Bernard Drainville, dit-on. Le commentaire acerbe d'un François Legault, qui rappelait que lui aussi voulait une trêve référendaire de dix ans, montre l'agacement du chef caquiste. Pour lui, l'arrivée d'un chef «pressé» à la tête d'un PQ voué à la marginalisation serait une aubaine.

Ce qui paraît clair, c'est que Bernard Drainville ne jouera pas dans le film des alliances, il ne parle pas aux autres aspirants. Il ne se lance pas en piste pour assurer sa notoriété, devenir un incontournable pour un éventuel chef. Même chez ses partisans, on convient facilement aujourd'hui qu'il part deuxième, derrière Pierre Karl Péladeau. Le magnat de la presse gagnera tous les concours de notoriété auprès de la population. Ses interventions fréquentes sur les enjeux économiques, des textes bien léchés, laissent deviner une organisation déjà bien rodée.

Quand, au printemps 2007, le nouveau candidat péquiste de Marie-Victorin était monté sur la scène au congrès préélectoral du PQ, les délégués avaient applaudi avec un enthousiasme sans retenue ce journaliste qui avait franchi le Rubicon.

Déboussolés, ayant un peu perdu leurs repères après la dernière raclée, les péquistes, le printemps prochain, vont chercher le successeur de René Lévesque. En dépit de son aura, le milliardaire indépendantiste Péladeau aura en Drainville un adversaire redoutable.