Le témoignage de Nathalie Normandeau devant la commission Charbonneau est attendu. L'ex-ministre des Affaires municipales livrera aujourd'hui sa version des faits à la suite des nombreuses allégations qui ont circulé sur elle au cours des derniers mois. Portrait d'une vedette libérale de l'ère Charest.

« Mme Normandeau, qu'est-ce que cela veut dire, réinventer le Québec ? » La question avait l'air d'un ballon de plage, une offrande facile pour n'importe quel politicien. Mais Nathalie Normandeau semblait soudainement confrontée à une notion de physique quantique.

Pourtant, la jeune députée de Bonaventure de l'automne 2002 avait le slogan libéral imprimé jusque sur son t-shirt. Prise de court, elle n'avait pu prononcer une seule phrase cohérente devant la caméra. Dans les années qui ont suivi, on ne la reprendra pas souvent à bafouiller.

Nathalie Normandeau a été promue vedette de la commission Charbonneau, témoignant après son chef de cabinet attitré, « l'abrasif » Bruno Lortie. Depuis près de deux ans, l'ex-politicienne est devenue un peu radioactive, sa seule présence à la permanence du Parti libéral du Québec (PLQ) durant la campagne a fait la manchette - elle y donnait du temps pour aider à la préparation des candidats.

L'entrepreneur Lino Zambito avait expliqué qu'il lui avait envoyé 40 roses pour son 40e anniversaire. Elle était aussi friande de billets de faveur pour les spectacles de Céline Dion au Centre Bell, par exemple. Elle et son entourage avaient obtenu neuf billets. « C'était vraiment l'exception. Bon, c'était Céline Dion, quand même ! », avait-elle expliqué, mise dans l'embarras par le témoignage de l'entrepreneur lavallois.

Toute une trajectoire pour la jeune « granola » en poncho et sandales qui, à la fin des années 80, devient secrétaire de soir au cabinet du premier ministre Robert Bourassa. Diplômée en sciences politiques, l'idéaliste gaspésienne obtiendra même un « certificat en études africaines ».

En 1994, le Parti québécois (PQ) prend le pouvoir et Bonaventure. Et Nathalie, la route de Maria. Dans le bastion de Gérard D. Lévesque, mort l'année précédente, elle fait dans le communautaire. Puis, à 26 ans, elle devient mairesse de Maria, où elle commence à tisser un réseau de contacts qui lui serviront pendant des années. En 1998, le PLQ veut l'attirer ; Jean Charest insiste personnellement auprès de la mairesse, qui repeindra en rouge une circonscription qui l'avait été depuis 1956.

Un parcours sans trop d'histoires durant les années d'opposition, où elle s'attache, comme critique, aux questions de richesses naturelles et d'énergie. Elle est de la même « promotion » que le regretté Claude Béchard et que Line Beauchamp. 

Une politicienne «charmante»

Avec l'arrivée du PLQ au pouvoir, elle devient tout de suite ministre. Célibataire à 35 ans, elle ne sera jamais proche des autres libérales élues -  les Monique Jérôme-Forget, Line Beauchamp, Nicole Loiselle, qui se fréquentent. Elle est dans un cercle différent ; déjà, son chef de cabinet de l'époque, Luc Berthold, souffle à l'oreille de bien des libéraux qu'elle pourrait un jour être première ministre. Les Marc-Yvan Côté, Bruno Lortie et Rémi Bujold, bien connus dans les officines libérales, font sa campagne en coulisse. Avec son approbation, du moins tacite. Mais quand des libéraux se mettent à réfléchir sérieusement à une solution de rechange à Jean Charest, la vice-première ministre coupe publiquement court aux conjectures.

De février 2005 à décembre 2008, Normandeau est aux Affaires municipales. Sa notoriété des derniers mois dépend de cette période, où « la-ministre-qui-dit-oui » fait les belles heures de quelques firmes de professionnels. Des fonctionnaires témoignent encore : pour la ministre Normandeau, il fallait trouver une façon de satisfaire les demandes des municipalités, souvent fauchées. 

À la commission Charbonneau, on a appris qu'elle avait utilisé 32 fois son pouvoir discrétionnaire pour hausser des subventions ou donner priorité à des projets, contre l'avis de ses fonctionnaires. Certains refusaient même de signer leurs évaluations, laissant au bureau du sous-ministre l'odieux d'approuver ces décisions indéfendables.

Michel Binette, un employé politique aux Affaires municipales, témoin à la Commission, la décrivait toute fébrile à l'idée de pouvoir téléphoner à un maire afin de le prévenir que la confirmation de subvention était en route.

« Nathalie Normandeau est une charmante personne qui a voué une confiance peut-être à la limite de ce qui est raisonnable » à son chef de cabinet Bruno Lortie, un « abrasif » disciple de Marc Yvan Côté, témoignera Binette. 

« Charmante », personne n'en doute. C'est une politicienne « toucheuse », qui vous prend le bras, vous touche l'épaule en vous parlant. Mais ceux qui la connaissent ont pour la plupart le même verdict : même si son honnêteté ne fait pas de doute, elle n'a jamais été la politicienne « crédule » dépeinte devant la Commission. « Elle a vu neiger, et aimait par-dessus tout donner des chèques aux maires », résume-t-on chez les libéraux qui la connaissent.

Pas à l'abri des bourdes

Elle n'est pas portée sur les détails, toutefois ; son cabinet diffusera un jour une lettre qu'elle avait signée... avec quelques fautes d'orthographe. Elle aime les hyperboles ; le renouvellement du Pacte fiscal avec les villes est ainsi décrit comme une « entente historique » - la lourdeur de la facture, surtout, marquera les annales. 

Elle jouera du coude avec son collègue Béchard, qui occupait le siège qu'elle convoitait aux Ressources naturelles. Dans un mini-remaniement, elle obtient le contrôle des barrages et surtout des éoliennes, en juin 2009, et le populaire Béchard, déjà diminué par la maladie, atterrit finalement, de bonne grâce, à l'Agriculture.

Elle a longtemps surfé sur la sympathie qu'elle suscitait, mais elle n'était pas à l'abri des bourdes. Elle a déclaré, sans rire, que le méthane des gaz de schiste n'était pas plus menaçant qu'un « pet de vache ». Les environnementalistes l'ont mise en joue. Elle sera forcée d'annoncer un moratoire sur l'exploration.

C'est aussi l'époque où la jeune politicienne change carrément d'image. Dans un salon chic de la rue Saint-Jean, une coiffeuse est réquisitionnée tous les jours à 7 h pour la ministre. Les ponchos de laine et le macramé sont loin, elle arrive à l'hôtel du Parlement juchée sur de très hauts talons et porte volontiers des vêtements ajustés, en cuir noir. Côté coeur, elle semble se spécialiser, à l'époque, dans les histoires compliquées. Son ami de coeur, un Gaspésien un peu débonnaire, la plonge dans la controverse en lui faisant cadeau d'une immense facture sur son cellulaire ministériel. En 2008, elle tombe amoureuse de François Bonnardel, un député de l'opposition. L'adéquiste a le tact de descendre de la limousine à quelques pâtés de maisons de l'hôtel du Parlement pour arriver à pied à l'Assemblée nationale. L'histoire, compliquée, finira mal. Elle coule des jours plus tranquilles depuis qu'elle partage la vie d'Yvan Delorme, ancien patron du Service de police de la Ville de Montréal, un jeune retraité.

Réinventer le Québec ? La politicienne n'en avait cure. Mais la jeune Gaspésienne un peu paysanne et « granole » avait par contre un projet très clair : « réinventer Nathalie Normandeau ».

Ils ont dit

Les roses de Zambito

L'ex-entrepreneur Lino Zambito a affirmé lors de son témoignage avoir offert un bouquet de roses pour souligner le 40e anniversaire de l'ex-ministre Nathalie Normandeau. «Si on veut souligner son anniversaire, on envoie quoi à une vice-première ministre?», dit avoir demandé Zambito à son chef de cabinet, Bruno Lortie. «Écoute, Lino, tu sais, les femmes, souvent, aiment recevoir des fleurs. Je suis sûr que si tu envoyais des fleurs, elle serait très heureuse.» «En raccrochant, j'ai dit à mon assistante: "Écoute, telle date, assure-toi d'envoyer un bouquet de roses à Mme Normandeau."»

- Daphné Cameron et Pierre-André Normandin