Quand la firme d'évaluation de crédit Fitch a mis la cote du Québec en «observation» l'an dernier, une escouade d'employés politiques et de fonctionnaires a accompagné le ministre Nicolas Marceau pour rassurer New York.

Avant de ressasser les courbes sur la réduction de la dette, la prévision de déficit ou l'énorme facture de la rémunération des médecins, un jeune expert américain paraissait intrigué par ces extraterrestres arrivés de ce Cuba du Nord.

«Vous payez 7$ par jour, par enfant, pour la garderie? Moi, cela me coûte 75$ par jour!»

Un généreux programme

On ne peut nier sérieusement les immenses avantages d'un réseau de garderie de qualité. Toujours «fou de ses enfants», Camil Bouchard, universitaire réputé, spécialiste de ces questions, relève que ces années préscolaires sont déterminantes pour l'intelligence relationnelle et l'intelligence tout court du futur adulte. Philippe Couillard, quant à lui, relève que le programme a été bénéfique parce qu'il a permis aux mères d'accéder au marché du travail.

Mais 18 ans après le lancement du programme par Pauline Marois, en marge du sommet sur l'économie de Lucien Bouchard, les Québécois considèrent comme acquis un programme dont la générosité étonne nos voisins américains et ontariens.

Le budget péquiste de février rappelait les chiffres imposants. Le programme coûte 2,7 milliards en 2013-2014, dont 2,3 milliards viennent des impôts des contribuables. La part de la contribution des parents a diminué constamment, de 20% en 1996 à 13% actuellement. Les 220 000 places ne suffisent pas; il faudrait en ajouter 30 000 pour respecter la promesse de Mme Marois, «un enfant, une place». En attendant, c'est plutôt «une éducatrice, une membre» - la syndicalisation des éducatrices a accéléré la croissance des coûts. En effet, une place en CPE coûte 52$ par jour en subvention au gouvernement. En milieu familial, la contribution publique glisse à 26$.

Mais soulever des questions sur des programmes, même aussi imposants dans l'ensemble des finances publiques, est bien vite taxé d'hérésie. À l'Assemblée nationale, hier, l'opposition a ressorti les épouvantails et accusé Québec de vouloir pratiquer des coupes sombres dans ce programme social devenu intouchable. Philippe Couillard avait repoussé la hausse de 2$ envisagée par le Parti québécois. Mais l'indexation qu'il a promise ne durera qu'un an - le programme des garderies se retrouvera sous la loupe de la commission d'évaluation de programmes l'an prochain. «Il n'y aura pas de vaches sacrées», promet-on. Selon le président du Conseil du trésor, en revanche, il serait bien étrange qu'on ne puisse même s'interroger sur un tel programme aux budgets «très, très, très importants».

«Un exercice tronqué»

En effet, ce budget préparé en six semaines a laissé un arrière-goût d'inachevé du côté de Philippe Couillard. «Un exercice tronqué», résume-t-on. Le premier véritable budget Leitao sera celui de l'an prochain. En attendant, on contrôle les dépenses et on avancera quelques mesures pour «repartir le moteur» de la croissance économique.

Le ministre Leitao est de l'école des prudents, ceux qui promettent peu pour livrer davantage. Sa prévision de croissance sera de 1,8% environ, en deçà des prévisionnistes privés. Le déficit dépassera les 2,3 milliards, même en faisant disparaître des projets comme la «Caisse d'autonomie», dont les fonds n'avaient pas été prévus par le gouvernement Marois.

Hier, à l'Assemblée nationale, du côté de l'opposition, on voulait ameuter les chaumières. Le député péquiste Mathieu Traversy laissait entendre que la hache allait bientôt s'abattre sur le réseau des garderies, si cher aux jeunes familles. L'économiste Coiteux n'avait pas aidé sa cause, il faut le dire, en évoquant en 2012 la multiplication des pains et des poissons du Nouveau Testament.

Un système inéquitable?

Or, au-delà de la rhétorique partisane, on constate qu'en dépit des coûts gigantesques du programme, bien des familles aux revenus modestes n'ont pas accès à ces places privilégiées. En 2007, Mario Dumont, chef de l'Action démocratique du Québec, avait fait un tabac en balayant du revers de la main un système qu'il jugeait inéquitable; en lieu et place, il accordait 100$ par semaine aux mères qui gardaient leur enfant à la maison. Son tiers parti avait été catapulté à l'opposition officielle, avec 40 députés.