En posant plusieurs questions sur les valeurs à nos 500 jeunes répondants, CROP a été en mesure de bâtir un véritable portrait sociopolitique de la génération née dans la première moitié des années 90. CROP a segmenté les réponses de notre échantillon, pour en arriver à de grandes tendances, et enfin, à quatre archétypes sous lesquels se retrouve cette jeunesse, née avec l'internet, et dont la culture est très éclatée. En effet, entre les néo-trads, les souverainistes progressistes, les individualistes et les nouveaux Québec inc., les différences idéologiques et culturelles sont très profondes. De plus, certains répondants au sondage se sont prêtés au jeu des entrevues.

LES INDIVIDUALISTES

Devise

Mon job, ma voiture, ma famille.

Marc Raymond, 24 ans

Né en Ontario, vit à Québec depuis l'âge de 3 ans.

Titulaire d'un diplôme d'études professionnelles en soudure et assemblage.

Travailleur à temps plein depuis six ans, il est actuellement employé d'Hebdraulique, une entreprise qui produit des canalisations hydrauliques.

En couple depuis sept ans, il a une petite fille de 1 an.

Qui sont-ils?

C'est le groupe de jeunes le plus important: ils représentent le tiers de nos 500 répondants. Ils vivent davantage à Montréal et sont moins scolarisés que la moyenne des jeunes - 46% des jeunes de ce groupe sont titulaires d'un diplôme d'études secondaires ou alors n'ont aucun diplôme. On trouve davantage d'anglophones et d'allophones dans ce groupe. Leur revenu familial tourne autour de 41 000$.

Que pensent-ils?

Ces jeunes sont très axés sur les libertés individuelles. Sept répondants sur dix pensent par exemple que le gouvernement devrait donner plus de liberté aux individus en réduisant les taxes et les impôts. Marc Raymond est parfaitement représentatif de cette tendance. «Moi, je n'ai pas un gros salaire, je paie des impôts sur mes paies et j'en paie encore à la fin de l'année! On dépense trop, au Québec. Et c'est toujours nous qui finissons par payer», dit-il.

Mais surtout, les individualistes se caractérisent par un désintérêt à l'égard de tout ce qui est collectif. Sept sur dix affirment ne pas se sentir vraiment connectés à ce qui se passe dans la société. Les deux tiers d'entre eux disent qu'ils ont peu ou pas du tout d'intérêt à l'égard de la politique. Près de 40% d'entre eux n'ont pas voté le 7 avril dernier, et cette proportion était la même deux ans auparavant.

Marc Raymond, lui, a tenu à voter. «La politique, disons que ce n'est pas mon premier intérêt. Je ne passe pas des heures devant mon journal. Mais je vais voter. C'est vrai, par contre, que plusieurs personnes de mon entourage ne votent pas. Pour elles, voter, c'est un geste inutile parce que, de toute façon, ce sont toujours les mêmes partis qui reviennent.»

«Leur attitude, ce n'est pas du cynisme, indique Youri Rivest. Ils n'appartiennent tout simplement pas à un groupe plus large qu'eux-mêmes.» Clairement, les mouvements collectifs ne leur parlent pas. Par exemple, Marc Raymond était totalement opposé aux revendications des élèves et des étudiants qui ont manifesté lors du printemps érable. «Je trouvais leurs demandes ridicules. Moi, je suis allé à l'école et je l'ai payée, mon école.»

Les individualistes ne sont clairement pas souverainistes - 81% de nos répondants auraient voté Non à une question référendaire et 75% jugent que la souveraineté est un concept dépassé. «Ce n'est pas vraiment une bonne idée, la souveraineté. Vraiment pas, en fait. On paie déjà trop au Québec, imagine si, en plus, on laissait le Canada!», dit M. Raymond.

Deux répondants sur trois choisiraient d'ailleurs de vivre ailleurs qu'au Québec. «Ils ne sont pas enracinés ici», dit Youri Rivest. Mais ils ne sont pas nécessairement très fédéralistes pour autant: quand on leur demande s'ils se décrivent comme souverainistes, fédéralistes, nationalistes ou autonomistes, plus de la moitié optent pour... aucune de ces réponses.

Pour qui votent-ils?

Les individualistes qui choisissent d'aller voter sont en majorité libéraux. Le Parti libéral du Québec recueille 48% des intentions de vote dans ce groupe, suivi de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui a la faveur de 26% des répondants. «Ils sont davantage libéraux. Mais ils sont surtout abstentionnistes. La politique, ça ne les intéresse pas», dit Youri Rivest.

Au dernier scrutin, Marc Raymond a voté pour la CAQ, tout comme en 2012. Pourquoi? «À cause de la nouveauté! Les autres partis, c'est du pareil au même. Ils font des promesses et ça ne se réalise jamais. Une chose est sûre, je n'aurais jamais voté pour Pauline Marois. Elle avait promis des places en garderie et il n'y en a pas eu.»

Pour eux, le Parti québécois, c'est...

Le parti des pauvres et des jeunes.

Le Parti libéral, c'est...

Le parti des riches et des personnes âgées.

La Coalition avenir Québec, c'est...

Le parti des familles et de la classe moyenne.

Québec solidaire, c'est...

Le parti des pauvres et des jeunes.

LES NÉO-TRADS

Devise

Protégeons notre chez-nous.

Jessica St-Amour, 23 ans

Née à Mont-Laurier, habite à Lac-des-Écorces.

Propriétaire d'une garderie en milieu familial depuis quatre ans.

En couple, un enfant de 17 mois.

Qui sont-ils?

Les néo-trads représentent 26% de nos 500 répondants. Ce groupe de jeunes vit plutôt en région et les femmes y sont majoritaires. Ils sont moins instruits que la moyenne des gens de leur âge: seulement 11% d'entre eux ont fait des études universitaires, 40% n'ont qu'un diplôme d'études secondaires. La plupart sont sur le marché du travail, avec un revenu moyen d'environ 45 000$. Un sur six a déjà des enfants.

Que pensent-ils?

Près de la moitié des néo-trads disent que la politique les intéresse peu ou pas du tout. «La politique, ça n'occupe pas beaucoup de place dans ma vie. Je veux connaître les politiciens, mais je ne les crois pas toujours», dit Jessica St-Amour.

Globalement, ils sont plus à droite que la moyenne des jeunes. L'immense majorité (83%) pense qu'on ne donne pas assez d'importance aux valeurs comme le travail et la discipline. Paradoxalement, 53% ont l'impression de vivre dans un Québec immobile.

Ils sont plus méfiants que les gens de leur âge en ce qui a trait à l'immigration: 71% d'entre eux disent qu'il y en a trop et 85% pensent que les immigrés devraient mettre de côté leur culture pour essayer d'adopter la culture québécoise.

«La Charte, j'étais d'accord avec ça. Si on allait dans leur pays, c'est nous qui devrions nous adapter. Les immigrés doivent s'adapter», estime Mme St-Amour.

Près de 70% des néo-trads croient que le Québec va dans la mauvaise direction. Leur priorité numéro un? La croissance économique et la création d'emplois. Ils sont aussi très soucieux de l'avenir du système de santé. «La santé, ça m'inquiète énormément», dit Mme St-Amour. Ils sont préoccupés par le déclin économique du Québec, mais aussi par son déclin démographique.

Ils ne sont résolument pas souverainistes: 73% d'entre eux voteraient Non s'il y avait un référendum sur l'avenir du Québec. «Ils sont plus fédéralistes que les autres, mais ce n'est pas ce qui les caractérise, dit Youri Rivest. Ils ne sont tout simplement pas mobilisés par la souveraineté.»

Pour qui votent-ils?

«Avec son projet de charte, le Parti québécois aurait dû aller chercher ces gens-là», dit Youri Rivest. Or, ce n'est pas ce qui se passe. «Il n'y a pas de champion, mais la Coalition avenir Québec est le premier choix de ces jeunes», dit M. Rivest.

La CAQ récolte 33% des appuis dans ce groupe et les libéraux, 27%. Le 7 avril dernier, ils ont voté pour la CAQ à 26%, une hausse de 13 points depuis les dernières élections.

Jessica St-Amour, elle, a bien pensé voter libéral. «J'en avais assez de Pauline Marois. Elle voulait faire des compressions, et je ne suis pas d'accord avec ça. Finalement, j'ai voté pour le PQ, mais seulement à cause du député local, qui fait du bon travail.»

Pour eux, le Parti québécois, c'est...

Le parti de la classe moyenne et des baby-boomers.

Le Parti libéral, c'est...

Le parti des riches et des personnes âgées.

La Coalition avenir Québec, c'est...

Le parti de la classe moyenne et des familles.

Québec solidaire, c'est...

Le parti des pauvres et des jeunes.

Photo Alain Roberge, La Presse

Jessica St-Amour, 23 ans

LE NOUVEAU QUÉBEC INC.

Devise

Responsabilité, discipline, effort

Ludovic Beauregard, 20 ans

Né à Saint-Hyacinthe, vit à Sherbrooke.

Étudie en économie à l'Université de Sherbrooke.

Veut devenir économiste, dans une banque ou au gouvernement.

En couple, sans enfant.

Qui sont-ils?

Les nouveaux Québec inc. représentent 23% de nos 500 répondants. Ils vivent surtout en région et comptent plus d'hommes. Un sur quatre a un diplôme universitaire. Sept sur dix sont déjà sur le marché du travail. Leur revenu moyen se situe à près de 49 000$. Une très faible proportion d'entre eux ont déjà des enfants.

Que pensent-ils?

Ils sont très critiques à l'égard de l'État. Six sur dix croient que la société serait meilleure si les gouvernements s'en mêlaient moins, 85% d'entre eux pensent que le premier rôle de l'État est d'encourager la création de richesse et 76% pensent que le gouvernement devrait baisser les taxes et les impôts.

«Personnellement, je pense qu'on se préoccupe trop d'environnement, au Québec. On ne pense pas assez aux emplois. Je ne pense pas que les Albertains se soient freinés à cause de l'environnement, et ce sont eux qui enrichissent le Canada, aujourd'hui», dit Ludovic Beauregard.

Les jeunes de ce groupe sont cependant très intéressés par la chose publique - 83% d'entre eux se disent beaucoup ou assez intéressés par la politique. La moitié d'entre eux pensent que le Québec va dans la bonne direction. Ils sont cependant résolument canadiens. Sept jeunes sur dix pensent que le fédéralisme comporte plus d'avantages que de désavantages pour le Québec. Conséquence: trois sur quatre rejettent la souveraineté... mais 42% se disent néanmoins souverainistes ou nationalistes.

«Je ne pense pas que la souveraineté se fasse à court terme. Il n'y aura jamais assez de gens favorables à la souveraineté pour que ça se fasse», dit M. Beauregard.

Sans surprise, leur priorité no 1 est la croissance économique et la création d'emplois au Québec, et 69% d'entre eux se disent inquiets du déclin économique du Québec.

Pour qui votent-ils?

Première constatation: «Le Parti québécois ne parle pas du tout à ces gens-là, dit Youri Rivest, de CROP. C'est un excellent marché pour les libéraux et pour la Coalition avenir Québec.»

Ludovic Beauregard, lui, a voté pour la CAQ. «François Legault est très compétent. C'est une personne qui sait où couper et où mettre l'argent. J'aime beaucoup sa façon de penser.»

Le Parti libéral est pourtant le préféré de ce groupe: 46% de ses membres auraient voté pour les libéraux. Aux dernières élections, ils ont voté libéral à 36%, une hausse de 13 points depuis 2012. La CAQ a aussi fait des gains dans cette catégorie de jeunes, avec un gain de 6 points.

Pour eux, le Parti québécois, c'est...

Le parti des pauvres et des baby-boomers.

Le Parti libéral, c'est...

Le parti des riches et de la classe moyenne.

La CAQ, c'est...

Le parti des familles et de la classe moyenne.

Québec solidaire, c'est...

Le parti des pauvres et des jeunes.

Photo René Marquis, La Tribune

Ludovic Beauregard, 20 ans

LES SOUVERAINISTES PROGRESSISTES

Devise

Le Québec, mon pays ouvert sur le monde

Jean-Sébastien Carpentier, 21 ans

Né à Rimouski, habite à Limoilou.

Étudie en bio-écologie au cégep de Sainte-Foy.

En couple, sans enfant.

Qui sont-ils?

Les souverainistes progressistes forment le plus petit groupe de jeunes: ils représentent 19% de nos 500 répondants. Les souverainistes progressistes sont en large majorité francophones. Ils sont plus instruits que la moyenne - le tiers a un diplôme universitaire. Ils occupent souvent déjà un emploi qui les paie bien: leur revenu moyen tourne autour de 54 000$.

Que pensent-ils?

Ils sont préoccupés par la chose politique - 87% d'entre eux se disent très ou assez intéressés par la politique - et sont plus à gauche et écologistes que la moyenne des jeunes.

Trois sur quatre disent par exemple qu'ils ont tendance à prendre parti pour le syndicat dans un conflit de travail. En outre, 85% des membres de ce groupe pensent que le Québec devrait adopter des mesures radicales pour protéger l'environnement, même si cela devait causer un ralentissement économique. «On ne fait pas assez attention à l'environnement. On agit comme si on était les rois et maîtres de la planète», dit Jean-Sébastien Carpentier, qui voudrait travailler professionnellement à la préservation des paysages.

Les souverainistes progressistes sont également très préoccupés par l'éducation: c'est la priorité de 27% des répondants. «Ces jeunes faisaient partie des fameux carrés rouges du printemps 2012», souligne Youri Rivest.

C'est le seul groupe en majorité souverainiste, à 63%. La même proportion de ces jeunes répondrait Oui sans hésiter à un référendum, même à une question dure sur la séparation du Québec. Corollaire: ils ne se sentent pas du tout canadiens. «Je suis souverainiste, dit Jean-Sébastien Carpentier. Je pense que le Québec serait mieux s'il était indépendant. On est complètement différents du Canada sur le plan des valeurs.»

Cela dit, ils sont également très ouverts sur le monde. Les deux tiers d'entre eux se voient avant tout comme des citoyens du monde. Ils sont très tolérants vis-à-vis des immigrés et des différences en général.

Pour qui votent-ils?

Ces jeunes devraient normalement être partisans du PQ, observe Youri Rivest. «Pourtant, le Parti québécois est deuxième chez les souverainistes progressistes, alors que ça devrait normalement être son premier marché.» Sondés sur leurs intentions de vote, 58% de ces jeunes auraient voté pour Québec solidaire, et seulement 19% auraient opté pour le PQ.

En 2014, le premier choix de cette catégorie de jeunes a été Québec solidaire. «Entre 2012 et 2014, ils ont rejeté le PQ au profit de QS», dit M. Rivest. Le vote péquiste a en effet diminué de 16 points dans ce groupe durant cette période, alors que le vote de Québec solidaire a augmenté de 28 points.

En 2014, parmi les souverainistes progressistes, un jeune sur dix a voté pour un autre parti, probablement Option nationale. Ce chiffre a baissé de moitié en 2012. Jean-Sébastien Carpentier s'inscrit parfaitement dans cette tendance. En 2014, il a voté pour le PQ, mais à contrecoeur. «J'aurais pu voter pour Option nationale. J'ai finalement choisi de voter stratégiquement, pour le PQ. Mais si c'était à refaire, je voterais pour ON.»

Pour eux, le Parti québécois, c'est...

Le parti de la classe moyenne et des baby-boomers.

Le Parti libéral, c'est...

Le parti des riches et des personnes âgées.

La Coalition avenir Québec, c'est...

Le parti de la classe moyenne et des familles.

Québec solidaire, c'est...

Le parti des pauvres et des familles.

Photo Patrice Laroche, Le Soleil

Jean-Sébastien Carpentier, 21 ans