La révision des programmes gouvernementaux, c'est bien. Mais pour maintenir l'équilibre budgétaire à long terme, le Québec doit «impérativement» dompter le monstre de la santé, estime l'ancien ministre des Finances, Raymond Bachand, dans une étude rendue publique aujourd'hui.

À deux semaines du premier budget Leitao, l'ex-grand argentier du gouvernement Charest refait surface pour proposer au déficit structurel du Québec une solution qui se rapproche de celle qui a été projetée par Philippe Couillard. Il faut, selon lui, faire dès maintenant des compressions de 3 milliards de dollars et, surtout, «concentrer les efforts à limiter la croissance des dépenses en santé» pour les prochaines années. Ce poste budgétaire accapare actuellement 43 % de l'ensemble des dépenses publiques, proportion qui ne cessera de croître avec le vieillissement de la population.

«Ça ne donne rien de s'agiter sur tout le reste, parce que c'est la santé qui est le nerf de la guerre, explique M. Bachand en entrevue. Je pense que ce devrait être le grand chantier des deux prochaines années: comment on peut arriver à redessiner la façon de gérer notre système de santé.»

Raymond Bachand fait cette proposition dans la première étude de l'Institut du Québec, un groupe de recherche qu'il préside et qui est né d'une collaboration entre le Conference Board du Canada et HEC Montréal. Son plan correspond en partie aux intentions manifestées par le gouvernement Couillard jusqu'ici. Il se défend de faire le jeu du Parti libéral: «On avait décidé, quand l'Institut a été créé en février, que cet enjeu serait notre première étude. Et je pense que le désir de revenir à l'équilibre budgétaire et de faire le redressement requis. Il n'est pas partisan.»

Reste que, dans son étude, M. Bachand salue la création prochaine d'une commission permanente de révision des programmes. Il fait également un plaidoyer pour le «cran d'arrêt» décrété par M. Couillard: «Tout ajout de services devrait être financé par une réduction équivalente des dépenses ou par une tarification couvrant les coûts additionnels.» Mais il faut faire plus, explique-t-il dans son étude intitulée Pour un contrat social durable.

Il n'est pas question d'augmenter le fardeau des contribuables, déjà «le plus lourd» en Amérique du Nord. Et il n'est pas «réaliste de croire que la croissance économique pourra résoudre le déséquilibre structurel des finances publiques». Le Conference Board prévoit une croissance économique «modeste», de 1,6 %, pour le Québec de 2014 à 2035.

Pour sortir du trou budgétaire, il faut d'abord, à court terme, des compressions importantes, estime Raymond Bachand. Selon lui, le Québec dispose d'une «marge de manoeuvre» puisqu'il offre pour 11 milliards de dollars de services de plus que la moyenne du Canada. Ainsi, «le gouvernement pourrait faire le choix de réduire ses dépenses de 3 milliards tout en maintenant un filet social et une redistribution de la richesse significativement plus élevés que dans le reste du Canada». Où devrait-il faire des coupes? «C'est la job du gouvernement» de le trouver, dit-il en entrevue.

Son étude, sorte de «budget Bachand», insiste sur la nécessité d'aller plus loin que ces coupes à court terme. «Il faut impérativement contenir la croissance des dépenses en santé», croit-il. La croissance du budget de la santé a été de 5,2 % par an de 2004 à 2012 et de 5 % annuellement depuis 1990. Maintenir ce rythme condamne le Québec au déficit, selon M. Bachand.

«En réduisant cette croissance moyenne de 1 point de pourcentage - de 5,2 % à 4,2 % -, le Québec améliorera substantiellement ses perspectives budgétaires à long terme», affirme-t-il.

Cette proposition est compatible avec ce que promettait Philippe Couillard en campagne électorale: dans son cadre financier, il s'engageait à maintenir la croissance des dépenses en santé à 4% pendant tout un mandat. Mais il n'a toujours pas confirmé qu'il respectera cette cible.

L'objectif de 4,2 % est «exigeant», reconnaît M. Bachand. Il est néanmoins «réaliste lorsqu'on observe les dépenses des pays scandinaves et du G5, c'est-à-dire le G7 sans les États-Unis et le Canada». Le Québec dépense environ 9 % de plus par habitant que la moyenne des pays comparés; 20 % si l'on ajuste les données pour tenir compte de la composition démographique de ces pays.

Des «réformes importantes dans la culture et les façons de faire» seront nécessaires, souligne Raymond Bachand. Il s'avance peu sur la nature de ces réformes. Il évoque des changements «dans la façon de rémunérer les médecins et les infirmières», «l'adoption de mesures qui favorisent la concurrence» et une plus grande reddition de comptes des établissements.

La taxe santé

Pourquoi n'a-t-il pas appliqué les freins lorsqu'il était ministre des Finances? Il répond qu'il avait commandé à l'époque une étude pour revoir le financement des établissements, rapport rendu public avec le budget Marceau de février dernier. Il a rappelé que le gouvernement Charest avait fait le choix de maintenir la croissance de la santé à 5 % et, pour y arriver, de créer la fameuse «taxe santé».

Selon lui, en limitant la hausse du budget de la santé, le gouvernement pourrait maintenir à long terme une croissance des dépenses de 3,4 % en éducation et de 2,6 % pour les autres ministères. Ces derniers devraient toutefois subir à compter de cette année des réductions budgétaires annuelles d'environ 4 % pendant trois ans, d'après le scénario de M. Bachand.

Le gouvernement Couillard parviendra-t-il à atteindre l'équilibre budgétaire en 2015-2016 comme promis? Raymond Bachand refuse de se prononcer. Mais dans le scénario qu'il détaille en annexe - et qui tient compte des plus récentes données -, il prévoit que Québec ferait un déficit de 2,8 milliards cette année, de 800 millions en 2015-2016, et qu'il atteindrait l'équilibre l'année suivante seulement. Un présage de ce que pourrait contenir le budget Leitao?