ANALYSE. Tous les mots y sont. Ils tombent comme autant d'ultimatums: Québec veut procéder à une revue systématique de ses programmes, de ses organismes, qui ont tendance, une fois créés, à prendre de l'embonpoint et à être considérés comme des acquis.

Après avoir entendu tous les points de vue, le gouvernement, «à l'heure des choix», agira «de façon nette et décisive», a prévenu hier le premier ministre Philippe Couillard dans le message inaugural du nouveau gouvernement - son plan de match pour les prochaines années. Tout est là, sauf l'urgence.

En effet, il paraît désormais clair que les décisions importantes, les gestes susceptibles de ramener l'équilibre budgétaire, ne seront pas arrêtés pour le prochain budget, qui devrait être déposé, en même temps que les crédits de dépenses, le 5 juin - plutôt que le 3, comme l'envisageait Québec à l'origine. On attendra donc l'an prochain, avec en main les recommandations d'une future commission de revue de programmes - un exercice permanent, cette fois.

C'était le retour du «nerd», hier, à l'Assemblée nationale. Philippe Couillard n'a su retrouver, dans son discours de plus d'une heure, le langage du coeur, cette touche d'émotivité qui avait fait sursauter les observateurs durant la campagne électorale. Méthodique, impeccable, M. Couillard s'est contenté de lire son discours - même l'allusion à son ancêtre, Guillaume, le premier cultivateur, qui labourait sa terre à un jet de pierre du parlement il y a 400 ans, paraissait aseptisée.

Depuis une semaine, M. Couillard insiste pour faire oublier son programme «d'austérité». Le ton donné lors de la formation du gouvernement, qui évoque des coupes nettes dans les dépenses, paraît désormais trop alarmiste. On est plutôt passé à la «rigueur», au contrôle de la croissance des dépenses - une distinction sémantique de plus. En effet, le gouvernement n'est pas prêt pour cette «austérité», qui suppose qu'on prenne, dès maintenant, des décisions structurantes comme l'abolition d'un programme ou le gel des salaires des employés de l'État.

Le ministre des Finances, Carlos Leitao, a confirmé hier du bout des lèvres le reportage de La Presse: le déficit de 2014-2015 dépassera largement le total de 1,75 milliard prévu par l'administration Marois. On promet de rester sur la cible de l'équilibre l'année suivante, mais dans les officines, à Québec, tous comprennent qu'en baissant la garde cette année, la cible de l'année suivante devient plus difficile à atteindre.

Même film, différentes affiches

Les politiciens sont d'incorrigibles dépensiers. M. Couillard a promis hier de faire disparaître des directions régionales du ministère de l'Éducation, devenues inutiles. Mais il n'a pu s'empêcher de promettre que l'aide aux devoirs, arme efficace contre le décrochage, serait étendue au secondaire. En santé, il a promis de réduire de 10% les coûts administratifs du superréseau... au cours des quatre prochaines années.

Les opérations de revue de programmes: à Québec, tous les gouvernements ont joué dans ce film.

En 1986, sous Robert Bourassa, c'est l'État Provigo. Paul Gobeil, président du Conseil du trésor, fait ses propositions: on passe à la moulinette 86 des 202 organismes recensés. Deux ans plus tard, on est à la case départ; le gouvernement a bel et bien supprimé des organismes, mais en a créé davantage.

En 1993, on repasse le même film, en changeant l'affiche: cela devient «Vivre selon ses moyens». C'est encore le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson cette fois, qui officie - son bras droit, c'est le sous-ministre André Dicaire, qui fait actuellement la même chose auprès du gouvernement Couillard et qui est sans doute consterné par le peu de progrès en 20 ans.

En 1996, Lucien Bouchard promet «d'oser». Il impose une compression de 6% sur la masse salariale. Québec ferme des hôpitaux, propose la retraite aux médecins et aux infirmières, qui se présenteront au portillon bien plus nombreux que prévu. Au bout de quelques années, le consensus se révèle bien éphémère. Il donne le feu vert au réseau des garderies à 5$ - bien rapidement, les éducatrices se retrouvent syndiquées, et la spirale des coûts reprend. Son président du Conseil du trésor, Joseph Facal, promet un mauvais sort aux «vaches sacrées» de l'économie québécoise. Mais celui qui deviendra «lucide» en 2005 fuira devant le combat. Le «rapport Facal» propose une coupe sombre, la moitié des 200 organismes doivent disparaître. Le hic, c'est que le gouvernement Landry n'est jamais passé à l'acte, Facal a quitté la politique, son rapport a fait l'objet d'une fuite aux médias et on est passé à un autre appel.

Jean Charest propose ensuite son remake, la «réingénierie de l'État», avec Monique Jérôme-Forget dans le rôle principal. Cela fait recette pendant quelques mois. À terme, on se contentera de proposer l'abolition de quelques organismes plutôt mineurs, et des économies homéopathiques. On suggère de mettre la hache dans la Commission municipale - un point de chute habituel pour les politiciens et les mandarins qui doivent relever de nouveaux défis. Dix ans plus tard, la Commission est toujours là...

«Les vraies réformes ont été repoussées, parce que ce Parlement était divisé, a observé hier M. Couillard. Ce qui aurait été souhaitable il y a 15 ans, ce qui aurait été nécessaire il y a 10 ans, devient aujourd'hui une urgence.»