Le 7 avril vers 18h, le metteur en scène Yves Desgagnés est allé retrouver Pauline Marois chez elle dans le Vieux-Montréal.

C'était juste avant qu'elle ne parte pour le Westin, pour aller suivre la soirée électorale avec sa famille dans une suite au 11e étage.

À quelques heures de l'issue finale, la chef du Parti québécois était, selon Desgagnés, calme, presque zen. Mais en choisissant sa tenue pour la soirée, elle lui a toutefois avoué qu'elle avait le pressentiment que sa carrière politique allait se terminer ce soir-là.

Yves Desgagnés a immédiatement tenté de la dissuader, en lui rappelant son petit doigt qui, la veille, prévoyait la victoire. «Oui, mais ce soir c'est mon autre petit doigt qui parle», lui aurait-elle répondu.

Quelques heures plus tard, avant de monter sur la scène pour annoncer sa démission, Pauline Marois s'est tournée vers Yves Desgagnés dans les coulisses et lui a glissé: «Je vous l'avais dit.»

Un doute

Yves Desgagnés me raconte l'histoire dans une salle de réunion du Théâtre du Nouveau Monde en se demandant s'il fait bien. D'un côté, il ne veut pas trahir ce moment d'intimité vécu avec l'ex-première ministre, de l'autre, il tente de dissiper la perception que Pauline Marois était en mille morceaux le soir du 7 avril. «Elle avait le coeur lourd, c'est sûr, dit-il, mais elle n'était pas effondrée. Non seulement cette femme est forte, mais elle n'a jamais été une victime de sa vie.»

Engagé personnellement par Pauline Marois pour lui servir de coach pendant deux campagnes électorales, le metteur en scène n'est pas encore complètement remis de la défaite de lundi. Mais il se garde bien de comparer la soirée dramatique du 4 septembre 2012, où la victoire de Pauline Marois a été assombrie par un attentat et par la mort d'un homme, à celle du 7 avril. «Une défaite comme celle subie lundi est toujours catastrophique, mais ça n'a rien à voir avec les évènements du Métropolis. Lundi soir, on a tous fait une chute de 90 étages, mais personne n'est tombé sous les balles d'une mitraillette», dit-il.

Avant de poursuivre, l'homme de théâtre insiste pour clarifier son rôle dans la campagne électorale. «Bien des choses ont été dites à mon sujet, mais la vérité, c'est que j'étais le coach de Mme Marois pour ses présentations, son apparence et la livraison de ses discours. Ça s'arrêtait là. Mon rôle dans la campagne n'était ni politique, ni stratégique, ni décisionnel. Les décisions, c'est Nicole Stafford et Dominique Lebel [membres de la garde rapprochée de Pauline Marois] qui les prenaient, pas moi. J'aurais bien aimé avoir mon mot à dire, mais ce n'était pas le cas.»

Pourquoi une telle mise au point? Pour dissiper les rumeurs, la première voulant que ce soit Yves Desgagnés qui ait conseillé à PKP de lever le poing lors de son fameux discours. «Complètement faux, affirme-t-il. J'étais dans la salle. Je n'avais pas lu le discours. Je l'ai entendu en même temps que tout le monde, mais je me souviens avoir pensé au moment précis où Pierre Karl a levé le poing que, par ce geste très théâtral, le théâtre venait de triompher. À mes yeux, il y avait de la candeur et de la naïveté dans ce geste. On n'était pas dans Sacco et Vanzetti ni dans une révolte mexicaine. Je n'en reviens pas de la réaction des gens. Quand c'est rendu que ce qui nous fait peur est une simple question, c'est grave.»

Des discours non planifiés

Desgagnés nie également avoir orchestré le fameux concours oratoire des trois futurs aspirants chefs le soir du 7 avril en attendant Pauline Marois. «Je n'avais rien à voir là-dedans. Les ordres sont venus d'en haut. Les militants trouvaient le temps long. Quelqu'un dans le walkie-talkie m'a dit qu'il fallait envoyer les trois gars sur scène parce que Pauline attendait la confirmation de sa défaite dans Charlevoix. Je n'ai fait que suivre les ordres. C'est pourquoi cette campagne a été un peu de la torture pour moi. Chaque jour où j'étais dans l'autobus, je remarquais le décalage entre la réalité du terrain et les ordres qui venaient du bunker, mais je n'y pouvais rien.»

Le metteur en scène affirme que tout au long de la campagne, Pauline Marois a fait comme lui et suivi à la lettre les ordres de son entourage. «Elle n'avait pas le choix, plaide- t-il. C'est tellement rushant une campagne, tellement exigeant au plan physique, que tu n'as pas le temps de faire des remises en cause. Tu veux pouvoir te fier sur quelqu'un en qui tu as une confiance absolue et suivre tout ce qu'il ou elle te dit.»

Dix-huit mois après le choc de sa première campagne électorale et trois jours après la défaite de la deuxième, celui qui a été aux premières loges de l'espoir et de l'échec tire sa révérence au monde politique. Il retourne au théâtre. Il signera la mise en scène de L'importance d'être Constant d'Oscar Wilde au TNM l'automne prochain.