Deux d'entre eux ont vécu l'ivresse d'être favori, avant de connaître une douloureuse descente. Pour la troisième, ce fut le contraire : du cauchemar à la position de tête. À l'aube du déclenchement de la campagne, retour sur les retournements qui ont ponctué les parcours de Pauline Marois, Philippe Couillard et François Legault au cours des derniers mois.

Pauline Marois: après le désert...

Depuis six mois, le gouvernement de Pauline Marois a terminé sa traversée du désert.

La première année avait été bien difficile: volte-face embarrassante sur la taxe santé, bourdes, contradictions entre ministres. Le gouvernement Marois s'agitait, multipliait les projets de loi, les politiques, mais toutes ces initiatives paraissaient improvisées, sans cohésion interne. L'action du gouvernement Marois était illisible pour la plupart des électeurs.

Mais c'était avant le drame de Lac-Mégantic. Dès que le nuage toxique a été balayé de la petite ville éprouvée, la première ministre Pauline Marois s'est fait un devoir de se rendre sur place, faisant preuve d'empathie à l'endroit des sinistrés. L'été est une saison toujours plutôt clémente envers les gouvernements. Cela ne s'est pas démenti après la catastrophe du début du mois de juillet, et l'aiguille des sondages s'est tout à coup mise à bouger pour le Parti québécois (PQ). La population est devenue plus «attentive» à ce que faisait le gouvernement Marois.

Le parti piétinait autour de 25% d'intentions de vote depuis le printemps. En août, tout à coup, on était à 29%. Après cette première remontée depuis les élections de septembre 2012,

six autres sondages allaient suivre, toujours en montée, pour finir avec les 40% de février, selon CROP.

Avec l'automne, Mme Marois n'a pas échappé le ballon. Son projet de Charte de la laïcité a permis au PQ de rejoindre un électorat plus âgé qui lui faisait souvent défaut. Du même coup, le parti consolidait ses appuis toujours majoritaires chez les francophones, et dans les régions.

Depuis son projet initial, le gouvernement n'a pas reculé d'un pas, fermant même la possibilité de se soustraire à l'application de la Charte. La consultation publique a été soporifique à souhait, le plan de match était clairement que les mémoires dévastateurs du Barreau du Québec, de la Commission des droits de la personne et de la Ville de Montréal ne soient pas rendus publics avant les élections, une stratégie contrecarrée par des fuites.

L'abandon du déficit zéro s'est fait sans heurts, puisque l'opinion publique s'attendait à la nouvelle. Et les deux pluies d'annonces économiques, à l'automne puis au cours des dernières semaines, ont consolidé les appuis au PQ.

Photo Christinne Muschi, Reuters

Depuis la tragédie de Lac-Mégantic, la population est devenue plus attentive à ce que fait le gouvernement de Pauline Marois.

Philippe Couillard: un combat douteux...

Il y a un an, les astres semblaient alignés pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et son nouveau chef Philippe Couillard.

En avril 2013, les libéraux avaient 13 points d'avance sur le Parti québécois (PQ) dans les intentions de vote. L'insatisfaction à l'endroit du gouvernement Marois atteignait 66%, le niveau le plus élevé depuis les élections.

La révélation de deux perquisitions policières au siège social du PLQ à Montréal avait suscité bien des commentaires. Idem pour la rencontre impromptue du chef avec deux policiers de l'Unité permanente anticorruption. Mais à l'aune des sondages, la carapace de Philippe Couillard ne paraissait pas atteinte.

Philippe Couillard multipliera les embrouilles sur les finances publiques, semblant cautionner quelques années de déficit - une position difficile à défendre politiquement quand on veut attaquer le gouvernement sur la gestion de l'économie. Il a été absent de l'Assemblée nationale jusqu'en février 2014, et encore là, on ne l'a vu croiser le fer avec Pauline Marois qu'à six périodes des questions. Sa performance a été solide, mais sa rentrée avait été occultée par les sorties de Fatima Houda-Pepin et par les propos de Henri-François Gautrin, qui prédisait une victoire péquiste majoritaire. 

Mais les véritables déboires du chef libéral et de son parti surviendront avec le dépôt du projet de charte de la laïcité par le gouvernement. Après un peu de slalom, le PLQ a adopté une position très légaliste, selon laquelle aucun signe religieux visible ne serait banni. À l'exception du visage voilé, tout trouve grâce aux yeux du PLQ. On ajoutera le tchador et la burqa comme vêtements explicitement mis au ban plus tard, mais le mal était fait - les électeurs favorables à la Charte seront plus à l'aise au PQ.

Mais c'est surtout l'expulsion de Fatima Houda-Pepin, députée de La Pinière depuis 1994, qui a enclenché la chute de Philippe Couillard et du PLQ dans l'opinion publique. Ses critiques acerbes à l'endroit de Philippe Couillard ont eu un impact sur son image - il a perdu trois points comme «meilleur premier ministre» au moment où Mme Marois en gagnait cinq. Ils étaient coude à coude en janvier, mais elle le devance désormais de huit points, selon CROP.

À la veille de la campagne électorale, une série d'annonces de candidats - Gaétan Barrette, Carlos Leitao et Jacques Daoust - laissait entrevoir des jours meilleurs pour un chef en perte de vitesse jusqu'ici.

Photo archives La Presse Canadienne

La rentrée parlementaire de Philippe Couillard a été notamment occultée par les sorties de Fatima Houda-Pepin.

François Legault: des solutions, et des problèmes

Il promettait de mettre l'éducation au sommet de ses priorités. Puis, on visa l'assainissement des finances publiques, la mise au pas d'Hydro-Québec et la réduction du poids de l'État. Au début de 2012, François Legault caracolait en tête des sondages.

Ensuite, avec l'entrée en scène de Jacques Duchesneau, l'intégrité devint la saveur du mois. Dernière obsession de François Legault, le développement technologique de la vallée du Saint-Laurent, avec quelques accents environnementalistes.

Il y a un an déjà, les choses tournaient moins rond du côté de la Coalition avenir Québec. Le parti avait atteint les 29 % d'appuis peu après les élections générales, où il avait eu 27 % des suffrages. Mais la cote personnelle de François Legault amorçait déjà une chute, tendance qui ne s'est pas démentie depuis.

L'engouement prévisible à l'égard d'un nouveau chef au PLQ explique en partie cette défection. Ce n'est pas parce que la CAQ a mal joué ses cartes : le jeune parti a systématiquement proposé des solutions aux problèmes qu'il dénonçait. Des députés comme Nathalie Roy, Stéphane Le Bouyonnec et surtout Christian Dubé, le critique économique, ont fait des contributions remarquées au débat public. Mais tout se passe comme si la population ne syntonisait plus la fréquence de la CAQ.

Aux élections de 2012, la candidature-surprise de Jacques Duchesneau avait tout à coup propulsé François Legault et la CAQ parmi les acteurs importants de la campagne. Or, depuis des mois, le candidat vedette s'est transformé en boulet. D'abord, il n'a pas fait taire des rumeurs persistantes voulant qu'il ne se présente pas à nouveau pour la CAQ - ce qui s'est confirmé il y a quelques jours.

Surtout, la population aura jugé très sévèrement les accusations à peine voilées de l'ancien policier à l'endroit d'André Boisclair, l'ancien chef péquiste. De l'intérieur même du parti, on admettait il y a quelques jours que cette stratégie avait été contre-productive : les électeurs sont saturés des combats de politiciens qui se lancent de la boue, résume-t-on.

Dans le débat sur la Charte de la laïcité, la CAQ a tout de suite occupé l'espace le plus facile à défendre : alignée sur le rapport Bouchard-Taylor, au milieu des positions diamétralement opposées du PQ et du PLQ. Or, sur cette question centrale au Québec cet automne, François Legault s'est retrouvé éjecté, relégué en touche par la polarisation de la population entre le PQ et le PLQ.

Photothèque Le Soleil

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, se dit confiant de pouvoir affronter le PQ sur le terrain de l'identité.