On ne peut pas dire qu'elle a joué à visière levée. Pauline Marois a commencé par dire que son gouvernement déposerait un budget autour de Pâques, dans la deuxième moitié d'avril. Puis elle a soutenu qu'il n'y aurait peut-être pas de budget avant les prochaines élections. Au passage, elle laissera tomber qu'elle a demandé à son ministre Nicolas Marceau de travailler sur un budget.

Même flou artistique en matière d'élections: elle a soutenu en Chambre qu'il n'y aurait pas d'élections «dans les prochains jours, les prochaines semaines» au même moment où elle demandait à un de ses apparatchiks de se porter candidat. Elle se défendait jeudi de procéder à une annonce électorale et son ministre Bertrand St-Arnaud, le lendemain, spéculait ouvertement sur les circonscriptions de la Montérégie susceptibles de basculer dans le giron péquiste.

Ce jeu de cache-cache n'est pas nouveau. Les premiers ministres ont toujours attendu l'embellie dans les sondages avant d'appuyer sur le bouton, de plonger le Québec en campagne électorale. Mais cette fois, c'est différent; le gouvernement Marois a fait adopter à l'unanimité, en juin 2013, une loi qui prévoit que les élections auront lieu à date fixe, le premier lundi d'octobre, tous les quatre ans. Selon cette balise, les Québécois devraient aller aux urnes le 3 octobre 2016.

Dans son discours à l'Assemblée lors de l'adoption de la loi, son parrain Bernard Drainville expliquait qu'elle était nécessaire pour restaurer «un lien de confiance passablement amoché» avec la population. «On fixe la date des élections au calendrier et on fait en sorte que cette date ne soit plus déterminée selon les calculs partisans, électoralistes, selon la stratégie politique. [...] le citoyen aura le sentiment qu'on lui redonne les élections», observait-il.

«Les élections appartiennent à la population. Leur date doit servir l'intérêt démocratique, pas l'intérêt du parti au pouvoir. En fixant une date d'élections, on fait disparaître la stratégie partisane de la date électorale. Fini les déclenchements en fonction des sondages, fini les déclenchements en fonction des commissions d'enquête. Le Québec mérite bien ça», soutenait le ministre sur son blogue, au moment du dépôt du projet de loi.

Bien sûr, la loi prévoit que la prérogative de dissoudre l'Assemblée appartient toujours au lieutenant-gouverneur. Un gouvernement minoritaire peut toujours être renversé par les partis de l'opposition, en Chambre, sur un enjeu fondamental comme un budget.

En demandant de son propre chef au lieutenant-gouverneur de déclencher les élections, Mme Marois contreviendra à l'esprit de sa propre loi. Théoriquement, ce dernier pourrait se demander si cette requête respecte la loi qu'on lui a fait sanctionner le 14 juin 2013. Bien sûr, dès qu'ils auront pris connaissance du budget, Philippe Couillard et François Legault diront qu'ils ne peuvent l'appuyer, et Mme Marois pourra s'agripper à ces déclarations, sans attendre un vote formel sur le deuxième budget de Nicolas Marceau.

Comme Stephen Harper?

Un rapprochement mettra le PQ mal à l'aise: Stephen Harper avait utilisé la même stratégie quand il avait déclenché des élections générales pour septembre 2008. Lui aussi avait fait adopter, l'année précédente, une loi sur les élections à date fixe. Lui aussi était minoritaire. Chef du Bloc, Gilles Duceppe avait durement critiqué cette décision d'un gouvernement qui bafouait sa propre loi sur les élections à date fixe et «[manipulait] le calendrier à des fins partisanes».

Supputant le déclenchement des élections, Mme Marois avait besoin d'un budget, mais ne peut prendre le risque d'attendre qu'il soit voté. En 2007, le PQ, traumatisé par les élections, avait déclaré s'opposer au budget, mais seulement trois députés s'étaient présentés pour voter, maintenant en selle le gouvernement Charest, minoritaire.

Mme Marois et Mario Dumont n'avaient pas été tendres envers «l'opportunisme» d'un Jean Charest qui avait décidé de déclencher des élections à l'automne 2008 alors que des turbulences économiques se dessinaient à l'horizon. Ce n'est qu'après le scrutin du 8 décembre qu'on allait confirmer la perte de 40 milliards à la Caisse de dépôt. Pour Mme Marois, Jean Charest avait plongé par pur électoralisme, alors que les Québécois ne souhaitaient pas d'élections. La «fin des calculs partisans» ? Les citoyens devront attendre encore pour qu'on leur «redonne les élections».