Analyse. Depuis des lustres, la dernière semaine de la campagne électorale est parfaitement prévisible. Quand les chefs ont épuisé leurs munitions sur la santé, se sont mitraillés de chiffres sur les dépenses et le taux de chômage, on y arrive toujours.

Quel est donc «l'agenda caché» du Parti québécois pour entraîner le Québec vers la souveraineté? Robert Bourassa, Daniel Johnson et Jean Charest ont, à leur heure, toujours saisi cette perche. Et Philippe Couillard se prépare à faire de même.

Avec son livre blanc suivi d'une consultation sur l'avenir du Québec, Pauline Marois a à l'avance désamorcé ces attaques, prévisibles. Le référendum? La période de turbulences? Les conditions gagnantes? Le petit glossaire du pays-en-devenir ne servira pas durant la prochaine campagne électorale. Et pas de spéculations sur la mécanique d'accession à la souveraineté, Mme Marois se contentera de rappeler que le gouvernement fera une proposition soumise à une vaste consultation. Point à la ligne. Le génie, ou plutôt, le «vieux démon» de l'élection référendaire ne sortira pas de sa bouteille.

Ne pas s'égarer

Il suffit de rappeler les circonvolutions d'un André Boisclair, qui avait fini par dire durant la campagne de 2007 que, même minoritaire, il pourrait tenir un référendum sur la souveraineté! Cette idée, tellement déconnectée de la réalité, avait achevé une campagne péquiste déjà chancelante. Pauline Marois ne s'égarera pas sur ce terrain radioactif.

Ironiquement, s'il ne fait pas rapidement un pas de côté, c'est Philippe Couillard qui pourrait se retrouver coincé avec cette rhétorique référendaire. Il a dit souhaiter que le Québec puisse adhérer à la Constitution de 1982 d'ici le 150e anniversaire de la Confédération, en 2017. Son gouvernement aurait la légitimité pour signer? Il faudrait un référendum. Bienvenue les «turbulences».

Dans les rangs péquistes, la perspective d'une longue consultation sur la souveraineté ne déplaira à personne. Déjà, le programme du PQ avait flirté avec l'idée d'une «conversation» avec la population, une idée piquée aux autonomistes écossais. Elle avait été vite biffée du plan d'action péquiste parce qu'elle évoquait du temps perdu en palabres inutiles. Pour la petite histoire, la dernière trouvaille de Mme Marois avait germé dans un des nombreux comités formés par le PQ, où le constitutionnaliste Henri Brun côtoyait le chanteur Paul Piché et Michel Morin, un ancien maire.

Pour l'heure, le militant péquiste est à la recherche de ce qui lui manque depuis le 4 septembre 2012, un gouvernement majoritaire. Il n'y aura pas de crêpage de chignon autour du livre blanc. Il n'y en avait pas eu davantage autour de la «gouvernance souverainiste» de la campagne de 2012, une autre boîte où on avait sagement rangé les velléités d'indépendance à une époque où la souveraineté ne fait pas recette auprès de l'électorat.

Bien timide «gouvernance souverainiste»

Après dix-huit mois de «gouvernance souverainiste», on peut constater que la stratégie de revendication permanente auprès d'Ottawa est restée bien timide. Après des mois de tournée, Gilles Duceppe et Rita Dionne-Marsolais ne sont pas montés au créneau et se sont contentés de réclamer une entente administrative pour récupérer d'Ottawa le programme d'assurance-emploi. Maka Kotto a réclamé que le Québec récupère tous les pouvoirs en culture et en communications, il a eu droit au même accusé de réception d'Ottawa que Jean Charest, qui avait formulé la même requête aux élections de 2008.

Les recours judiciaires sur le registre des armes à feu et l'Agence nationale de valeurs mobilières avaient été amorcés par un gouvernement fédéraliste, des combats poursuivis sous Pauline Marois. Pour bloquer la réforme du Sénat, Jean Charest n'aurait pas agi autrement que la première ministre, qui a demandé une opinion au tribunal. La «gouvernance souverainiste» n'a rien bouleversé. Bientôt, des experts mandatés par Québec accoucheront de leur rapport sur les dédoublements administratifs avec Ottawa dans les secteurs de la Santé et des Affaires municipales. Rien pour inquiéter le gouvernement Harper.

Ceux qui pensent que le livre blanc et la consultation seront un déclencheur, une rampe de lancement pour la souveraineté, devraient écouter Mme Marois avec attention. D'abord, bien qu'elle évoque le livre blanc sur la souveraineté-association de René Lévesque, on est dans un tout autre univers. «La nouvelle entente» entre Québec et Ottawa n'avait pas été suivie par une consultation, mais avait précédé le dépôt de la question référendaire et le débat à l'Assemblée nationale.

Hier, Mme Marois a plutôt évoqué un écheveau compliqué de consultations. L'opération sera plus large qu'une commission parlementaire - on peut penser à Bélanger-Campeau, une opération qui avait circulé dans tout le Québec et duré plus de six mois. Ensuite, a-t-elle rappelé, le gouvernement Bourassa avait convoqué deux commissions parlementaires, l'une sur la souveraineté, l'autre sur le fédéralisme renouvelé. Une opération pour éteindre le feu qui avait éclaté après la mort de l'entente du lac Meech.

En 1994, Jacques Parizeau avait aussi eu recours à la consultation, mais avec un objectif diamétralement opposé: alimenter la ferveur souverainiste. Québec avait subitement décidé qu'un «projet de société» était un passage incontournable avant un référendum, et fait sillonner des «commissions sur l'avenir du Québec» un peu partout en région.

Mais ce ne sera pas la stratégie de Pauline Marois. Elle ne fera pas de «dossier noir du fédéralisme», mais enverra stratégiquement la souveraineté au placard. Le génie restera dans sa bouteille, le temps d'une campagne électorale.