Un État laïque, des institutions neutres du point de vue religieux, sans interdire à qui que ce soit le droit d'afficher sa foi. Le PLQ a précisé sa position sur les questions identitaires, hier. Cette politique, a appris La Presse, a été élaborée en consultation avec Gérard Bouchard et Charles Taylor, les coprésidents de la fameuse commission qui avait sillonné le Québec à propos des accommodements raisonnables.

En point de presse, jeudi, le chef libéral Philippe Couillard a promis qu'un gouvernement libéral modifierait la Charte québécoise des droits et libertés pour y enchâsser expressément la neutralité de l'État et de ses institutions. Pas question toutefois de proscrire le port d'un signe religieux visible chez les employés de l'État. Pour l'ensemble de ces individus, ce serait une entrave aux libertés fondamentales, insiste-t-il.

À la veille de la publication des orientations du gouvernement Marois sur cette question délicate, le chef libéral a, secrètement, en poche des cautions de taille: MM. Bouchard et Taylor ont été consultés au cours des tout derniers jours, avant que le comité libéral n'arrête sa position. M. Couillard s'est entretenu directement avec eux, des échanges ont eu lieu aussi avec le comité spécial présidé par le député Marc Tanguay, député de LaFontaine. Les deux intellectuels ont mis la main à la pâte et devraient indiquer leur préférence pour la position libérale quand le gouvernement Marois aura fait connaître la sienne. C'est à leur suggestion que le PLQ a mis en évidence «l'interculturalisme» dans sa position, hier - l'importance de miser sur un tronc de valeurs communes sans occulter les ramifications venues des autres sociétés.

Soit dit en passant, il n'y a guère d'atomes crochus entre M. Bouchard, le frère de l'ancien premier ministre, et Pauline Marois. Cette dernière avait comparé des éléments du rapport Bouchard-Taylor à «Elvis Gratton». Lucien Bouchard s'est maintes fois élevé contre l'affaire en soutenant qu'elle avait «insulté» son frère.

Joint hier à l'Université du Québec, M. Bouchard a refusé catégoriquement de commenter. Il n'a pas nié avoir rencontré le chef libéral toutefois, et a promis de prendre publiquement position dès que le gouvernement Marois aura officiellement présenté son projet de charte. Il avait déjà refusé de commenter les bribes d'informations publiées il y a deux semaines quant aux intentions de Québec de proscrire le port de signes religieux pour tous les employés du gouvernement, des municipalités, des universités et des hôpitaux. L'autre coprésident, Charles Taylor, avait vertement décrié les informations, même parcellaires, et souligné que ces «exclusions» rappelaient la Russie de Vladimir Poutine. Les intentions de Québec feraient de ceux qui souhaitent afficher leur religion des citoyens de seconde zone qui n'auraient pas accès aux emplois du secteur public, «quelque chose d'assez grave», avait conclu M. Taylor.

«Code vestimentaire»

Pour Philippe Couillard, «il faut faire la distinction entre les institutions et les individus. Les citoyens sont libres de s'habiller comme ils le veulent», mais le gouvernement et ses institutions ne doivent pas favoriser une religion ou même l'absence de religion, a soutenu M. Couillard. «Il est dangereusement réducteur de limiter ce débat important à une discussion sur le code vestimentaire», a-t-il souligné.

Il a blâmé sans réserve le gouvernement Marois qui, selon lui, teste l'opinion publique à partir de «ballons» véhiculés dans les médias. Le gouvernement devait rendre publique sa politique lundi prochain. Mais l'annonce a été reportée puisque Mme Marois sera monopolisée par une conférence de premiers ministres et de gouverneurs américains, ce jour-là. On vise toujours la semaine prochaine du côté de Québec.

La commission Bouchard-Taylor proposait de circonscrire l'interdiction du port de signes religieux visibles aux employés investis d'un pouvoir de «coercition», tels que les juges, les policiers et les procureurs de la Couronne notamment. Pour M. Couillard, cette frontière serait bien difficile à tracer: un agent de sécurité, un gardien de prison ou même un garde-chasse pourraient aussi être assimilés à ce groupe. «Le caractère coercitif d'une fonction varie selon les circonstances», prévient-il. En coulisse, on explique que MM. Bouchard et Taylor jugeaient finalement plutôt accessoire leur proposition sur l'interdiction du port de signe religieux à une poignée de représentants de l'État. La neutralité de l'État et l'interculturalisme leur paraissaient bien plus fondamentaux. Pour favoriser l'intégration des nouveaux arrivants, le PLQ proposera donc «une politique sur l'interculturalisme», qui, selon lui, reflète mieux la diversité culturelle du Québec, avec comme base un tronc de valeurs communes. Une politique gouvernementale sera déposée et soumise à une consultation.

Pour Philippe Couillard, le port d'un signe religieux n'a pas à soulever de doutes sur l'impartialité d'un juge ou d'un policier. Le débat est théorique, a relevé le chef libéral: un juge pourrait être un chrétien fondamentaliste, rendre des verdicts conformément à sa foi sans pour autant l'afficher. «C'est un raccourci facile de faire un lien entre l'impartialité d'un juge et le port d'un signe religieux», a-t-il dit hier.

Sur les accommodements pour des questions culturelles et religieuses, M. Couillard souligne qu'ils ne devraient pas accorder un traitement de faveur à quiconque mais assurer plutôt que des règles prévues pour une majorité ne portent préjudice aux citoyens membres d'une minorité. Surtout, ces accommodements ne devront jamais remettre en question l'égalité des hommes et des femmes. Ainsi, on ne pourrait réclamer de voir son dossier traité par un homme plutôt qu'une femme, une situation déjà apparue à la Société d'assurance automobile du Québec. Un gouvernement libéral légiférerait pour encadrer ces «accommodements», des balises appliquées par un nouvel «organisme d'application».

En revanche, comme prévu dans le projet de loi 94 du gouvernement Charest, mort au feuilleton sans avoir été adopté, un gouvernement libéral s'opposerait au port du «voile facial» pour les femmes musulmanes, pour des questions d'identification et de sécurité.