Le rapport Bouchard-Taylor, tabletté par les libéraux, n'avait rien réglé, mais la délicate question des accommodements raisonnables ne faisait plus la manchette. Pourquoi le Parti québécois a-t-il choisi de faire revivre le débat sur l'identité québécoise? Voici cinq raisons qui pourraient avoir motivé le ministre Bernard Drainville.

Parce que Mario Dumont a prouvé l'efficacité de la formule

Début 2006. L'Action démocratique du Québec végète à moins de 15% dans les intentions de vote. Quinze mois plus tard, le parti récolte 30% des voix aux élections générales, fait élire 41 députés et devient l'opposition officielle à l'Assemblée nationale.

La clé de ce succès: «L'ADQ a réussi à ravir au PQ le pôle identitaire», souligne le vice-président de CROP, Youri Rivest. En se positionnant fermement contre les accommodements raisonnables et en promettant une constitution du Québec qui mettrait «une épine dorsale aux valeurs communes», Mario Dumont avait gagné le coeur de la banlieue montréalaise, à majorité francophone. «Le déplacement du vote avait été massif», souligne M. Rivest.

«L'histoire récente encourage le PQ à ne pas se faire retirer la carte maîtresse de l'identité, renchérit le politologue Alain G. Gagnon. On a clairement décidé de miser sur la majorité francophone.»

Un sondage réalisé par la maison Léger Marketing, publié hier dans les pages du Journal de Montréal, semble montrer que le pari est payant: 65% des francophones se disent d'accord avec la Charte des valeurs québécoises.

Pour mettre l'opposition dans l'embarras

«Le Parti québécois souhaite contrôler au maximum l'agenda politique. Quand on est au pouvoir, mais minoritaire, on veut s'inscrire dans un débat de société et forcer l'opposition à se commettre», souligne le politologue Alain G. Gagnon. Le Parti québécois a l'oeil sur la clientèle de la Coalition avenir Québec, issue de l'ADQ, qui a fait son beurre des questions d'identité. Pourtant, François Legault s'est montré peu enthousiaste, au départ, pour le projet du PQ. Il a dû réviser sa position hier: il est maintenant d'avis qu'il devrait être interdit aux juges, aux policiers et aux professeurs de porter des signes religieux distinctifs. «Je ne sais pas si ces déclarations vont régler la question pour la CAQ. François Legault n'est pas à l'aise avec cette question et ça se voit», résume la politologue Antonia Maioni, de l'Université McGill.

Pour faire réagir le Canada anglais

Les immigrants doivent-ils adapter leurs coutumes à leur terre d'accueil? Sur cette question, les Québécois font bande à part par rapport au reste du Canada. Le tiers des Canadiens jugent que c'est à la société d'accueil de s'adapter, alors que seulement 24% des Québécois partagent cette vision. «La Charte va faire réagir très fort au Canada anglais. Ce n'est peut-être pas le but de l'opération, mais c'est ce que le PQ va récolter: beaucoup d'antagonisme de la part du Canada. Pour le PQ, ça peut être une façon d'affirmer l'identité québécoise», estime Youri Rivest.

Un sondage Forum Research réalisé il y a quelques jours montre que 47% des Canadiens s'opposent au projet de Charte des valeurs québécoises. «La réputation du Québec en prend clairement un coup dans le reste du Canada», observe Antonia Maioni.

Parce que l'identité est un bon succédané de la souveraineté

«Le fonds de commerce des libéraux, c'est l'économie. Celui du PQ, c'est la souveraineté, mais c'est difficile à livrer dans l'immédiat», souligne Youri Rivest. Depuis des années, la souveraineté oscille entre 35 et 40% dans les sondages. Difficile, dans ces conditions, de tenir un référendum dans l'avenir prévisible. Or, la Charte des valeurs québécoises «permet au PQ de parler d'identité sans nécessairement parler de souveraineté", analyse M. Rivest.

Et la question identitaire en est une sur laquelle on peut agir rapidement, croit-il. «Contrairement à l'économie, où on est souvent victime de grands courants internationaux, l'identité, c'est une question sur laquelle le gouvernement a une poignée. Et il y a clairement un appétit pour cela dans l'opinion publique.»

Parce que la question n'a jamais été réglée

Des trois recommandations principales du rapport Bouchard-Taylor, aucune n'a été appliquée, observe le politologue Guy Laforest. «Les libéraux n'ont jamais agi pour préciser juridiquement la notion d'interculturalisme, qui était la recommandation centrale du rapport. Techniquement, le PQ a hérité de cinq ans d'inaction», dit-il. Le débat sur la laïcité, qui oppose le modèle français de laïcité stricte à la laïcité ouverte à la québécoise, a donc sa raison d'être, selon lui. «C'est un débat sain et honorable. Le Québec qui fait cela n'a rien à voir avec la Russie de Vladimir Poutine.»

«Depuis Bouchard-Taylor, on était assis entre deux chaises, concède Antonia Maioni. Peut-être fallait-il se pencher sur la question. Mais ça ne voulait pas dire qu'il fallait aller de l'avant avec une telle charte.»

Pour Mme Maioni, le projet de charte est cependant tout à fait cohérent avec la vision du Québec moderne de Pauline Marois. «C'était une promesse électorale du PQ. Ils vont jusqu'au bout avec la création d'un Québec laïque et égalitaire.»

Tel que promis en campagne électorale, le gouvernement du PQ prépare une charte de la laïcité - rebaptisée depuis Charte des valeurs communes - qui interdirait le port de signes religieux ostensibles aux employés de la fonction publique et parapublique, comme une éducatrice de centre de la petite enfance, une préposée à l'accueil de la Société de l'assurance automobile du Québec ou une infirmière. Ci-dessus, des signes religieux qui pourraient être visés.