Tuile pour la multinationale informatique CGI. À la suite d'une vérification interne menée à la demande du directeur général de la Sûreté du Québec (SQ), Mario Laprise, le corps de police a refusé de lui attribuer un important contrat qu'elle avait pourtant remporté lors d'un appel d'offres, a appris La Presse. De plus, la SQ a transmis le dossier à l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

La SQ n'a pas voulu commenter ces informations, ni préciser les raisons exactes qui l'ont poussée à vouloir priver CGI de ce contrat de conception d'une banque de données informatisée de renseignements de sécurité - un contrat dont la valeur est estimée entre 560 000$ et 1 million.

«À la suite des vérifications que nous avons effectuées [dès avril] en raison d'allégations d'irrégularités, la Sûreté du Québec, par souci de transparence, a choisi de transmettre ce dossier à l'UPAC», s'est borné à indiquer le lieutenant Guy Lapointe, porte-parole du corps de police.

Du côté de l'UPAC, la porte-parole Anne-Frédérick Laurence a indiqué avoir effectivement «en main un dossier confié par la SQ» lorsque La Presse l'a questionnée sur le cas CGI.

Chez CGI, on a une autre lecture des faits. On explique plutôt que c'est la firme qui a décidé de jeter l'éponge, au mois de juillet, après «des échanges et des discussions avec la SQ».

Or, selon nos informations, la firme CGI avait été avisée bien avant, soit au début de l'été, qu'elle n'aurait pas ce contrat.

«Nous avons décidé de nous retirer de l'appel d'offres pour qu'il n'y ait plus d'apparences de conflit d'intérêts ou d'irrégularités», a expliqué le directeur des communications, Sébastien Barangé.

Pour prouver sa bonne foi, CGI s'appuie sur un rapport «d'examen des faits» mené à sa demande par un cabinet d'avocats. Ils concluent à la «non-violation des règles éthiques» et à «l'intégrité du processus d'appels d'offres», comme écrit dans le rapport de trois pages, légèrement caviardé, fourni par l'entreprise à La Presse.

Mais CGI n'a pas voulu dire si elle savait que l'UPAC avait été saisie du dossier à l'issue de la vérification policière, ni pourquoi. «Nous n'avons pas de commentaires à ce sujet, a répondu Sébastien Barangé. Mais si l'UPAC veut enquêter, on va démontrer notre collaboration.»

C'est maintenant l'une de ses concurrentes, la firme Fujitsu, arrivée en deuxième place lors de l'ouverture des enveloppes de soumissions en janvier 2013, qui devrait obtenir le fameux contrat, pour une somme encore non divulguée.

Embauche d'un ex-inspecteur

Le 14 juin dernier, La Presse a révélé que la SQ se penchait sur les circonstances entourant l'attribution de ce contrat à la firme CGI. Cette vérification avait entraîné la suspension immédiate du processus contractuel. La SQ disait avoir eu vent de «soupçons d'irrégularités dans le processus d'appel d'offres» - soupçons qui étaient arrivés aux oreilles du directeur général Mario Laprise. La police cherchait notamment à savoir s'il y avait un lien entre ce contrat et l'embauche par CGI de Mario Rancourt, ex-inspecteur-chef responsable des technologies de l'information.

Le service que dirigeait M. Rancourt a activement travaillé sur cet appel d'offres lorsqu'il était en poste au quartier général de la rue Parthenais. Puis, sitôt à la retraite, en septembre 2012, il a fait le saut chez CGI comme consultant. L'appel d'offres avait été ouvert alors que M. Rancourt était au service de CGI.

Les représentants de CGI avaient assuré à La Presse que les fonctions confiées à l'ex-inspecteur-chef de la SQ n'avaient rien à voir avec ce contrat et que l'on n'entrevoyait ni «problème de conflit d'intérêts» potentiel ni violation du code d'éthique interne. «Il n'a pas travaillé sur des appels d'offres», avait indiqué le directeur des communications, Sébastien Barnagé. Celui-ci a expliqué que M. Rancourt avait plutôt obtenu un mandat lié à l'acquisition d'une importante entreprise européenne oeuvrant aussi dans le domaine de la sécurité publique.

L'informatique fait l'objet d'une enquête

L'UPAC braquera donc ses projecteurs sur l'univers des contrats informatiques gouvernementaux.

À plusieurs reprises au cours des dernières années, des voix se sont élevées pour réclamer un exercice similaire à celui effectué dans le monde de la construction, en raison des sommes colossales qui sont en jeu et des soupçons de collusion.

Le commissaire Robert Lafrenière a déjà indiqué que ces contrats de plusieurs centaines de millions de dollars méritaient l'«attention» de son unité. Au cours des deux dernières années, le Vérificateur général du Québec s'est lui aussi interrogé sur un phénomène de concentration de 46% des contrats gouvernementaux entre les mains de trois joueurs: Groupe LGS, CGI et DMR (division de Fujitsu).

Du côté de l'industrie, on fait remarquer que rares sont ceux qui ont les capacités techniques et financières pour répondre aux besoins du gouvernement, car il s'agit souvent de contrats complexes.