La corporation professionnelle des cadres municipaux offre à son congrès une formation spéciale en éthique avec une firme qui défie ouvertement le commissaire au lobbyisme et la loi québécoise.

Le conférencier invité, Bernard Blackburn, de la firme Guberna, ne s'en cache pas: selon lui, la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme est «pratiquement impossible» à appliquer à la lettre. Lui-même a décidé de ne pas s'inscrire au registre des lobbyistes dans le cadre de ses démarches pour remporter des contrats auprès des villes.

«Idéalement, est-ce que tout le monde devrait s'inscrire? Oui. Mais c'est pratiquement impossible. Si tout le monde qui approchait un haut fonctionnaire, que ce soit dans un tournoi de golf ou un congrès, devait s'enregistrer, il n'y aurait plus d'affaires! Il faudrait s'inscrire toutes les cinq minutes», a-t-il déclaré à La Presse hier.

À l'heure où les travaux de la commission Charbonneau ont braqué les projecteurs sur les dérives dans le monde municipal, la présence de Guberna aux assises de la Corporation des officiers municipaux agréés du Québec (COMAQ) illustre à quel point les différents acteurs du milieu ont des conceptions divergentes des solutions à apporter en matière d'éthique.

La COMAQ regroupe plus de 600 gestionnaires occupant des fonctions de cadre au sein de près de 280 municipalités québécoises. Son congrès s'ouvre aujourd'hui à Québec.

M. Blackburn, associé et vice-président principal de Guberna, sera présentateur sous le thème «Comment prévoir les risques éthiques». Guberna est une filière de Facilité informatique du Canada inc., une entreprise d'informatique qui a diversifié son offre de services en offrant des conseils en éthique.

Des villes comme Brossard, Trois-Rivières et Montréal ont fait appel à ses conseils. Comme ses services sont souvent offerts à moins de 25 000$, elle a pu, en accord avec la loi, remporter de très nombreux contrats sans appel d'offres auprès de municipalités et organismes publics.

Or, ni l'entreprise ni son démarcheur Bernard Blackburn ne sont inscrits au registre des lobbyistes. Aucune des représentations faites auprès des municipalités n'y est déclarée.

La loi prévoit pourtant que les communications avec le titulaire d'une charge publique dans le but d'influencer l'attribution d'un contrat sont des activités de lobbying à déclarer.

La simple présentation d'un produit ou d'un service peut être exemptée, mais pas les discussions sur un contrat éventuel. Une entreprise est aussi dispensée de s'inscrire au registre si c'est l'organisme public lui-même qui l'a sollicitée par écrit pour une soumission et qu'elle ne fait qu'y répondre.

Mais Bernard Blackburn avoue qu'il lui arrive de faire lui-même les premiers pas et d'avoir des discussions verbales. «Je peux appeler un directeur général d'une municipalité si on m'a dit qu'il pourrait être intéressé, mais ce n'est pas ce qu'on appelle une communication d'influence», assure-t-il.

Le commissaire au lobbyisme n'est pas d'accord.

«Lorsqu'il y a des démarches en vue d'obtenir un contrat sans appel d'offres, c'est considéré comme une activité de lobbyisme. Prétendre que c'est difficile à appliquer, ce n'est pas défendable comme position! Il y a plus de 600 entreprises inscrites au registre, il y a moyen d'inscrire une liste d'institutions visées sans pour autant inscrire chaque communication», martèle Daniel Labonté, porte-parole du commissaire.

Plusieurs firmes de services-conseils sont inscrites au registre des lobbyistes. Une recherche rapide a permis à La Presse d'y retrouver un concurrent de Guberna, la firme Intangible gouvernance, qui y a répertorié des dizaines de communications avec les municipalités pour offrir ses services en éthique.