Des données compilées par une association d'ingénieurs du secteur public démontrent que les contributions des 10 plus grandes firmes d'ingénierie du Québec aux partis politiques provinciaux dépassent à elles seules les récentes révélations du directeur général des élections sur le « financement sectoriel », propice à l'usage de prête-noms.

Les dirigeants et employés des 10 plus grandes firmes d'ingénierie du Québec ont versé pas moins de 13,5 millions aux partis politiques provinciaux, entre 1998 et 2010, selon un registre de données croisées compilées par l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ).

Environ 60% de ce financement sectoriel, soit 8,1 millions, aurait été versé au Parti libéral du Québec (PLQ), qui a formé le gouvernement durant 8 des 13 années couvertes par ce registre, constitué au fil des années par le syndicat des ingénieurs du secteur public.

Le Parti québécois (PQ), qui a occupé le pouvoir entre 1998 et 2003, a encaissé 36% des dons en provenance des firmes d'ingénieurs, pour un total d'environ 4,8 millions, selon les estimations réalisées par La Presse, à partir de ces données.

La défunte Action démocratique du Québec (ADQ) aurait quant à elle touché 4% du total, soit environ 545 000$. Les dons à cette formation ont été calculés seulement à partir de 2006, a tenu à préciser le président de l'APIGQ, Michel Gagnon.

Illégal depuis 35 ans

Le financement politique sectoriel organisé à l'échelle d'une entreprise ou de tout un secteur d'activités commerciales est illégal au Québec. Depuis 35 ans, ce sont des individus, et non des entreprises, qui ont le droit de verser des dons aux partis politiques provinciaux ou municipaux. Il est illégal pour un employeur de rembourser à ses salariés le montant des contributions qu'ils versent à une formation politique.

Depuis l'automne dernier, la Commission d'enquête sur l'industrie de la construction (CEIC) présidée par la juge France Charbonneau a toutefois démontré que cette interdiction était devenue, au fil des ans, bien théorique.

Le mois dernier, des hauts dirigeants de quatre grandes firmes d'ingénierie privées, Genivar, SNC-Lavalin, BPR et Dessau, ont reconnu l'existence de systèmes de prête-noms, de remboursements illégaux, en argent comptant ou sous forme de bonis, pour répondre à des demandes de financement que les partis adressaient directement aux dirigeants de ces firmes. Les documents rendus publics par la commission Charbonneau ont fait état de dons totalisant plus de 3 millions faits par ces quatre firmes d'ingénierie au PLQ, au PQ et, dans une moindre mesure, à l'ADQ, entre 1998 et 2010.

La semaine dernière, le Directeur général des élections (DGE) a recensé près de 4000 contributions suspectes provenant de 205 firmes d'ingénierie différentes, totalisant près de 6 millions versés à des formations provinciales et municipales, entre 2006 et 2011.

Le registre électronique alimenté par l'APIGQ, sur une période deux fois plus longue, recense pour sa part plus de 9000 contributions en provenance des 10 plus grandes firmes de génie-conseil de la province et de leurs multiples filiales, pour un total de 13,5 millions (voir tableau).

Variations remarquables

Or, bien qu'elles couvrent une période différente, les données recoupées par l'APIGQ témoignent de la même remarquable progression du financement sectoriel de l'industrie du génie-conseil, au cours des années 2000, que dans les documents publiés par la commission Charbonneau.

Tandis que les contributions versées au PQ, alors au pouvoir, évoluent en dents de scie entre 1998 et 2003, celles au PLQ commencent à monter en flèche à partir de 2001 jusqu'en 2005. Cette année-là, les sommes versées au PLQ par des ingénieurs et employés des firmes privées dépassent le cap de 1 million pour une première fois (voir graphique).

Elles diminuent quelque peu au cours des deux années suivantes, mais la montée en influence de l'ADQ, qui forme l'opposition officielle après les élections de 2007, a pour effet de gonfler à plus de 1,7 million le financement politique global aux trois partis provinciaux, par les firmes de génie-conseil seulement.

L'engouement est passager. L'ADQ perd les trois quarts de son financement sectoriel l'année suivante. Les firmes de génie-conseil réduisent alors leurs contributions politiques à environ 1,5 million pour 2008.

Elles fondent rapidement en 2009 jusqu'à un niveau comparable à celui d'avant les élections de 2003.

Un an plus tard, en 2010, le financement sectoriel du milieu du génie-conseil n'existe plus. La révélation de plusieurs scandales politiques par les médias et la création de Marteau, l'escouade anticorruption de la Sûreté du Québec, créent un climat qui incite l'ensemble de firmes de génie-conseil à mettre fin aux collectes internes pour les partis politiques, comme l'ont d'ailleurs souligné les dirigeants de ces firmes qui ont défilé, à ce jour, à la commission Charbonneau.