Il n'y a pas si longtemps encore, il couvrait les travaux de l'Assemblée nationale pour Radio-Canada. Aujourd'hui, il fait ses classes en politique en pilotant pour le gouvernement Marois l'explosif dossier des droits de scolarité. À quelques jours d'un sommet sur l'enseignement supérieur qui s'annonce houleux, La Presse fait le portrait du ministre Pierre Duchesne.

Fin des années 70. Dans l'autobus scolaire qui roule vers la polyvalente de Saint-Jérôme, un élève se tient debout dans l'allée, la main sur le dossier d'une banquette, lancé dans un discours enflammé sur la langue française.

Au Québec, un vent nationaliste souffle depuis l'élection de René Lévesque, quelque temps plus tôt. Une effervescence qui survient au moment où ce jeune adolescent est en train de forger ses opinions. Il lit beaucoup, se passionne pour l'histoire.

Ce jeune, c'est l'ancien journaliste Pierre Duchesne, aujourd'hui titulaire d'un des ministères les plus en vue du gouvernement Marois.

«Je commençais à saisir des choses. Ça m'intéressait, les livres d'histoire, et je voyais comment notre passé était particulier. Un passé de lutte, de résistance, et comment on avait pu, en Amérique du Nord, maintenir notre identité propre», raconte-t-il, attablé au restaurant du Musée national des beaux-arts du Québec.

L'endroit, qui donne sur le parc des Champs-de-Bataille, prend tout son sens pour ce nationaliste.

Jeune, il ne faisait aucun doute pour ses amis qu'il deviendrait politicien. «C'est l'Obélix de la politique, il est tombé dedans quand il était petit», lance Alain Lippé, ami d'enfance.

Sa famille n'est pourtant pas des plus politisées. Sa mère est enseignante au primaire. Elle insiste sur l'importance de l'école. La discipline et la rigueur sont des valeurs importantes à la maison.

Avec elle, il découvre la lecture. Il conserve encore aujourd'hui le premier coffret qu'elle lui a offert, quatre livres de Walt Disney. Il les a lus d'un bout à l'autre parce que sa mère lui répétait toujours de lire un livre au complet. «J'ai même lu les bouts que je trouvais plates», dit-il en riant.

À la polyvalente, la mode est aux bottes Kodiak et aux chemises à carreaux. Mais le jeune Pierre Duchesne ne porte jamais de jeans à l'école. Il est toujours vêtu d'un pantalon droit et d'une chemise, bleue le plus souvent. «Même sa peignure n'a pas changé aujourd'hui», lance son ami d'enfance.

Ce n'est pas le plus sportif, il fait surtout rat de bibliothèque. Ce qui ne l'empêche pas de jouer au hockey avec ses amis, même s'il est souvent le dernier choisi dans les équipes.

Ce que Pierre Duchesne préfère, c'est débattre. Tout est sujet à critique, même une soirée au cinéma pour voir le dernier James Bond. Ses amis ont intérêt à avoir de bons arguments pour l'affronter. Il est sûr de ses opinions, même s'il donne l'impression d'écouter celles des autres.

À cette période, sa voie semble toute tracée. Ce n'est pas en politique qu'il se dirige, mais en journalisme. Il sait déjà qu'il veut être journaliste à Radio-Canada.

Ses amis sont habitués de le voir se promener avec une enregistreuse en bandoulière, micro à la main. Dans la cour de récréation, il lui arrive de parler tout seul. En fait, il s'imagine tenir une conversation avec le chef d'antenne Bernard Derome sur le parquet d'un congrès politique.

Épreuve difficile

Il fait ses études à l'Université Laval, d'abord en science politique, puis en journalisme. C'est à l'université qu'il rencontre celle qui deviendra sa femme.

Dans cette voie toute tracée et sans histoire, Pierre Duchesne trébuche. Il a 28 ans. Avec sa femme, il caresse le projet d'avoir des enfants. Il est journaliste à la radio de Radio-Canada depuis cinq ans, toujours surnuméraire. Il travaille principalement à l'émission Le magazine économique, où il fait des portraits d'entreprises québécoises.

C'est l'automne, au moment où la nuit frappe tôt et que les arbres semblent dépouillés de vie. Le 7 novembre 1992, il est arrêté pour conduite avec facultés affaiblies. Il plaide coupable et est condamné à verser une amende.

Moins d'un an plus tard, il récidive. Il est arrêté une seconde fois pour conduite avec facultés affaiblies le 13 octobre 1993. Il plaide de nouveau coupable et écope d'une autre amende plus élevée cette fois.

Assis au restaurant du Musée des beaux-arts, la question sur ces deux condamnations le surprend. Il semble tétanisé. Il porte les yeux sur les grandes fenêtres, qui offrent une vue imprenable sur les plaines d'Abraham. Le vent balaie la neige. Son regard revient à la table. Il bafouille.

«C'est une époque où on vit des choses. Il y a peut-être moins de prudence, on mesure moins certaines choses et ça nous amène à certaines erreurs de jugement», finit-il par répondre en affirmant que ça ne s'est jamais reproduit depuis.

Il prendra quelques jours de réflexion pour ensuite préciser sa pensée, par courriel. «J'ai traversé une épreuve personnelle difficile à surmonter. Je ne veux pas m'en servir pour justifier les erreurs que j'ai commises et dont j'ai assumé la responsabilité en toute franchise. J'assume entièrement mes écarts de conduite comme je l'ai reconnu rapidement à cette époque», fait-il savoir. Il refuse toutefois de dire s'il a obtenu le pardon.

Questionnée sur ces événements, la directrice des communications du cabinet de Pauline Marois affirme que la première ministre était au courant, mais refuse de préciser si c'est M. Duchesne qui l'en a informée.

Il a été nommé ministre en connaissance de cause, indique Shirley Bishop. «Ça fait 20 ans, ça ne s'est pas reproduit depuis 20 ans et il n'a pas eu d'autres démêlés.»

Longue carrière à la SRC

Après son arrestation, Pierre Duchesne continue de travailler à Radio-Canada où il passe à Dimanche magazine. Il consacre tous ses moments libres à la rédaction d'une biographie non autorisée de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau. Encore aujourd'hui, son travail documenté et rigoureux est un ouvrage de référence.

Il n'a que 33 ans quand il publie le premier des trois tomes. Cette biographie lui ouvre les portes du journalisme télé. C'est en le voyant accorder une entrevue à Stéphan Bureau, au Point, qu'un patron le recrute à l'émission Zone libre.

Il fera quelques reportages internationaux au cours de sa carrière. Il gagnera même des prix. Mais on ne lui a jamais offert un poste de correspondant à l'étranger. «J'aurais dit oui», souffle-t-il comme à regret sur ce rêve qui demeurera inassouvi.

Il devient plutôt correspondant parlementaire à Québec. Il s'installe dans la capitale nationale avec sa femme et leurs trois enfants. Méthodique, il passe des soirées à décaper les nombreuses boiseries de leur maison d'époque. Un travail qui prendra des années.

Sur la colline parlementaire, il s'avère un journaliste travaillant et compétitif. Il est toujours à la recherche de la primeur et ne se laisse pas marcher sur les pieds.

Formé à la radio, il a tendance à travailler en solitaire. Même après ces années, ce n'est pas naturel pour lui de faire équipe comme le commande la télé. «C'est un apprentissage qu'il a dû faire», note son ancien patron à Radio-Canada, Alain Saulnier.

Du journalisme à la politique

Sa carrière prend fin abruptement en juin 2012. Parmi les journalistes de la tribune de la presse, c'est un secret de polichinelle qu'il est à couteaux tirés avec les collègues de son bureau, sur la colline parlementaire. «Bataille de coqs», dit-on.

Pour mettre fin au conflit, Radio-Canada choisit de le rappeler à Montréal. Aucun mandat précis ne l'attend dans la métropole. C'est une période difficile pour lui.

Après 25 ans de carrière, il n'est pas prêt à ce sacrifice.

Ses enfants, jeunes adolescents, ne veulent pas quitter Québec. «C'est une famille qui parle au nous», explique son ami, l'ancien journaliste Alexis Deschênes.

Il démissionne. Il se consacrera à l'écriture. Il planche déjà sur une nouvelle biographie, cette fois de l'ancien maire de Québec et ex-ministre dans le gouvernement Bourassa, Jean-Paul L'Allier.

Il songe aussi à prendre de nouvelles charges de cours à l'Université Laval. Il donne déjà des cours en journalisme et aime ce contact avec les jeunes. Pendant la crise étudiante, il s'étonne de ne pas les voir participer à l'une des premières grandes manifestations. Un journaliste doit sentir quand ça vibre, croit-il. «Ce n'est pas prendre position que de s'intéresser à une cause», disait-il à ses étudiants. Ses plans changent toutefois rapidement: un mois après sa démission de Radio-Canada, il se porte candidat pour le Parti québécois dans Borduas.

Ce passage de l'autre côté de la clôture cause une commotion. Des militants critiquent le «parachutage» du candidat-vedette dans la circonscription de Borduas. Les autres partis remettent en doute son intégrité, en rappelant qu'à peine un mois plus tôt, il était analyste politique. «Son jupon dépassait depuis un moment», soutiennent d'anciens collègues de la tribune de la presse.

Depuis, l'ombudsman de Radio-Canada l'a blanchi des accusations de partialité et de conflit d'intérêts lancées par les libéraux.

«Mon devoir de réserve, je l'ai exercé. Si ça n'avait pas été le cas, Radio-Canada m'aurait foutu à la porte», raconte le principal intéressé.

Depuis qu'il a troqué le journalisme pour la politique, Pierre Duchesne semble être devenu le plus enflammé des nationalistes. La politique lui permet enfin «de laisser sortir tout ce qui était emprisonné par un devoir de réserve, c'est-à-dire [son] nationalisme», dit-il.

Le soir de son discours d'annonce de candidature, dans Borduas, il cite un passage du manifeste du Refus global. Sur scène, c'est soudain le jeune adolescent qui faisait des discours enflammés dans l'autobus scolaire que plusieurs croient retrouver.

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Ministre de l'Enseignement supérieur: «Je savais que ça allait être dur»



Fraîchement élu, le ministre Pierre Duchesne s'est vu confier le mandat casse-gueule d'organiser le Sommet sur l'enseignement supérieur. Six mois plus tard, à l'aube de la rencontre, il essuie les critiques. L'opposition a même réclamé sa tête.

«Je savais que ça allait être dur et je savais que ça n'allait pas, au départ, être valorisant. Je ne suis pas naïf, je savais dans quoi je m'embarquais», dit-il.

C'est un travaillant qui mènera le dossier jusqu'au bout, croient ses proches. «J'ai la force de travail des Duchesne», souligne-t-il. Son père, Yvan Duchesne, est un homme «qui s'est fait tout seul». Il a commencé commis et a fini sa carrière président de la papeterie Rolland.

Pierre Duchesne, né à Jonquière, est issu d'une famille d'ouvriers. Son grand-père a été mécanicien à l'Alcan et devait nourrir 12 enfants. Quand il insiste pour que les étudiants issus de tous les milieux aient accès à l'université, c'est à sa famille qu'il pense.

C'est un entêté qui est capable d'argumenter s'il n'est pas d'accord. Il devra apprendre rapidement son rôle de politicien, mais il connaît les rouages de la politique pour l'avoir couverte. C'est probablement le calcul qu'a fait la première ministre Pauline Marois en le nommant à la tête d'un ministère constamment sous les projecteurs ces jours-ci, croit son ami Alexis Deschênes.