Les municipalités ont trop de poids dans les premiers pas du développement de l'industrie pétrolière au Québec, s'inquiète Lucien Bouchard.

«Pour le moment, ce n'est pas équilibré. Il y a un conseil municipal (à Gaspé) qui a adopté un règlement qui bloque le développement de l'entreprise (Pétrolia) qui a investi de l'argent et qui a obtenu un permis de Québec. Il va falloir trouver des solutions. Ça ne peut pas rester comme cela», a-t-il déclaré hier.

M. Bouchard a quitté la présidence de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ). La raison : son client Talisman a quitté le regroupement. Depuis quelques semaines, la société albertaine «révise son portefeuille d'investissement dans le monde», explique-t-il. L'automne dernier, elle a radié pour 109 millions de dollars d'actifs dans le gaz de schiste au Québec, à cause du faible prix du gaz. Elle dit aussi vouloir prioriser les activités qui génèrent des liquidités à court terme. «(Talisman) ne prévoit pas investir du capital au Québec dans un avenir prévisible», annonce M. Bouchard.

«(Talisman) reste au Québec de façon minimale, ajoute-t-il. Il y a quelques puits dont les forages ont été interrompus. Il y a des responsabilités qui se rattachent à cela, et qui seront assumées. Ils ont encore de nombreux permis. Que feront-ils ? C'est une autre question en analyse.»

Hier, le ministre de l'Environnement Yves-François Blanchet commandait une consultation large du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur le gaz de schiste. Les 78 études scientifiques déjà en cours, qui étaient conduites par l'Étude environnementale stratégique, sont ainsi transférées au BAPE.

M. Blanchet déposera aussi bientôt un projet de loi pour mettre en place un moratoire sur l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans les basses-terres du Saint-Laurent.

Le départ de Talisman était déjà prévu avant cette annonce, dit M. Bouchard. Il ne critique pas la décision. «Il est légitime de vouloir examiner à fond toutes les données relatives à l'exploitation, de s'en remettre à la science, de faire une large consultation et rendre la discussion moins passionnelle», explique-t-il.

Quant au projet de loi, il rappelle qu'il y avait déjà «un moratoire de facto très strict» auquel l'industrie «coopérait étroitement, de façon très responsable».  «Qu'est-ce que ça ajouterait ? Je ne sais pas», lance-t-il.

Le pétrole de schiste, qui nécessite aussi de la fracturation hydraulique, n'est pas inclus dans le moratoire.  «Le gouvernement a une politique beaucoup plus ouverte avec le pétrole», note-t-il.

Il n'existe pas encore de loi sur les hydrocarbures. Le gouvernement péquiste en prépare une. Le cas de Gaspé, qui a adopté un règlement en décembre pour bloquer le forage exploratoire Haldimand 4 situé à 350 mètres d'une résidence et son puits artésien, force à poser une autre question, dit M. Bouchard. «Quel est le rôle dévolu aux municipalités pour prendre des décisions définitives sur le développement des ressources naturelles? Ont-elles un veto absolu ? On pourrait penser, et c'est mon cas, que le rôle déterminant, c'est l'État qui doit l'assumer. Ça ne veut pas dire qu'il faut exclure une participation, des responsabilités locales, mais il faut trouver un équilibre.»

«En zone habitée, les réticences sont plus vives et c'est normal, poursuit-il. Mais il y a d'autres collectivités qui ont vécu ce genre de difficultés et qui les ont réglées avec des normes, par exemple pour la distance (d'un forage). On peut s'en inspirer. Par contre, on ne peut pas imaginer qu'il y ait autant de normes que de municipalités. Il doit avoir une certaine uniformité sur le territoire», dit-il.

Il rejette les débats «idéologiques» sur la pertinence de développer les ressources pétrolières et gazières. Le débat doit porter sur la façon de les développer, soutient-il. «On doit d'abord s'entendre pour dire qu'il y a nécessité de développer les ressources. Je ne peux pas imaginer un État qui conclurait qu'il y a un interdit de principe de développer ses richesses naturelles. Le débat c'est savoir comment bien le faire et s'assurer qu'il y a un partage des bénéfices pour tout le monde.»

La ministre évasive

La ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet, qui a déjà eu des accrochages avec l'ancien premier ministre péquiste, a été très réservée dans ses commentaires. «M. Bouchard est un ancien premier ministre et quelqu'un avec une très grande crédibilité. Mais lorsqu'il a décidé de prendre la présidence de l'Association pétrolière et gazière du Québec, c'est un choix personnel qu'il a fait, c'est un choix professionnel qu'il a fait, et ses choix lui appartiennent», a-t-elle réagi.

Christian Simard de Nature-Québec a été plus cinglant. «M. Bouchard avait souvent tendance à se présenter comme un médiateur, un homme neutre, un facilitateur du débat public. On voit que si son client n'est plus là, l'avocat se retire. Malheureusement, il apparaît très clairement qu'il était plus le procureur de l'industrie que l'ancien premier ministre sage qui veut faire avancer la société», a commenté l'environnementaliste.