Le manque de débats au Parti libéral du Québec a souvent été souligné dans les dernières années. Après 14 ans sous le règne de Jean Charest, le parti se cherche un nouveau chef et, pour la première fois depuis trois décennies, il y a une élection. Les positions des candidats sur les enjeux économiques et sociaux sont pour la plupart déjà connues. Ils auront aussi l'occasion d'en débattre demain, lors du premier de cinq affrontements organisés par le parti. Les délégués trancheront le 17 mars. Alors que commence véritablement la course, La Presse a demandé aux candidats de présenter leur vision de la politique et leurs inspirations.

Q: Quel personnage politique québécois vous inspire, et pourquoi?

Raymond Bachand Il y a dans chaque décennie plusieurs personnages politiques qui m'inspirent. René Lévesque, pour son grand respect de la démocratie, sa passion du Québec et son sens de l'éthique; Robert Bourassa, pour sa simplicité et sa passion de l'économie au service des Québécois; Jean Charest, pour sa détermination à ouvrir le Québec sur le monde...

Philippe Couillard Adélard Godbout: Dans un environnement social et politique très adverse, il a eu le courage de défendre des idées et de prendre des décisions qui combinaient le développement du Québec (ex.: fondation d'Hydro-Québec) et le progrès social (droit de vote aux femmes). On peut penser que, n'eût été sa défaite contre Duplessis, la Révolution tranquille se serait produite plus tôt!

Pierre Moreau Je ne peux me limiter à un seul. Dans son histoire, le Québec a été choyé par plusieurs grands leaders politiques. Ils sont de toutes allégeances. J'essaie de m'inspirer de leurs traits dominants.

Henri Bourassa: pour son attachement à la démocratie et sa conception de la suprématie du Parlement. Pour son engagement indéfectible à la défense et à la promotion de la culture française au Canada.

Jean Lesage: pour son éloquence et l'immensité du défi qu'il a relevé avec brio: la création des institutions qui ont façonné le Québec moderne. Il a fait la démonstration de la coexistence possible d'un nationalisme fort et de l'appartenance à la fédération canadienne.

René Lévesque: pour son intelligence, sa simplicité et ses talents de communicateur. Il a prouvé l'efficacité du discours lorsqu'il touche aux passions.

Robert Bourassa: pour sa vision, sa détermination et son flegme. La mise en valeur du potentiel énergétique du Québec et son retour au pouvoir après la défaite de 1976 donnent un sens à la persévérance en politique et aux possibilités qu'elle offre.

Q: Nommez une valeur qui distingue les Québécois des autres Canadiens, et une valeur que les Québécois partagent avec les autres Canadiens.

RB Des valeurs qui nous distinguent: la langue française, creuset de notre identité. Et une importance plus grande attachée au collectif par rapport à l'individu (exemple: le coopératisme).

Des valeurs que nous partageons: la tolérance et l'égalité homme-femme.

PC Au Québec, certains éléments fondateurs de notre identité (dont celui du français comme langue commune) nous mènent à un équilibre différent entre les droits collectifs et individuels et des interventions nécessaires, telle la loi 101. Nous partageons avec tous les Canadiens un attachement profond à la démocratie et aux libertés civiles.

PM Le pacifisme comme référence morale; une vie culturelle et une créativité forte et spécifique comme référence sociale.

La solidarité, la justice sociale et la compassion.

Q: Existe-t-il un «nous» québécois auquel peuvent adhérer les fédéralistes?

RB Certainement, et il est grand temps de nous réapproprier collectivement ce «nous», de lui redonner ses lettres de noblesse. Le véritable «nous» québécois n'est pas en opposition aux «autres» et il fait abstraction de l'axe souverainiste/fédéraliste. Il signifie: «Nous sommes fiers d'être québécois», tout simplement. Il évoque la tolérance et le respect des droits de chacun et non l'intolérance et la division. Ce «nous» doit être rassembleur et inclusif. Les Québécois de tous les horizons et de toutes les allégeances politiques doivent être fiers d'en faire usage: immigrés ou de souche, francophones, anglophones, allophones ou autochtones, nous sommes tous québécois.

PC Peu importe notre vision de l'avenir du Québec, ce «nous» se définit notamment par notre attachement à la primauté de la langue française et au respect des minorités, à l'inclusion de toutes les communautés dans le développement de cette vision. Sur cette question, il est important que tous les Québécois soient unis, quelle que soit leur opinion sur l'avenir politique du Québec.

PM Oui, s'il est totalement inclusif. Le «nous» implique une idée de rassemblement et de partage.

Q: Croyez-vous que le Québec signera un jour la Constitution? À quelles conditions?

RB Même si nos partenaires canadiens sont prêts à reconnaître le Québec comme nation, je ne vois pas un jour prochain où la Constitution sera rouverte puisqu'il faudrait aborder en même temps d'autres enjeux, comme ceux que soulèvent les Premières Nations.

PC Avant d'entreprendre des conversations de cette nature, nous devons ensemble définir formellement le Québec, particulièrement sous trois angles:

1 Liberté de religion et neutralité de l'État;

2 L'adhésion à des valeurs communes;

3 La coexistence de la primauté de notre langue commune, le français, et du respect des minorités.

PM Ce sont là des principes de base du fédéralisme.

Je crois qu'il est impératif que le Québec signe un jour la Constitution. Les Québécois réalisent que malgré la situation actuelle, ils contrôlent les leviers qui leur permettent de définir leur avenir, d'assurer leur prospérité, de protéger et de faire s'épanouir leur langue et leur culture. Pour signer la Constitution, les Québécois peuvent, à bon droit, exiger d'y retrouver la garantie du plein exercice de leurs compétences ainsi que la limite du pouvoir fédéral de dépenser.

Q: D'un point de vue environnemental, peut-on poursuivre indéfiniment la croissance économique?

RB Très certainement. Mais par le passage obligé du développement durable.

PC Il faut poursuivre la croissance de façon résolue selon les trois volets du développement durable définis par Gro Harlem Brundtland: l'acceptabilité sociale, la protection de l'environnement et le développement économique.

PM La croissance économique est essentielle au financement des mesures sociales que les Québécois ont choisi de se donner. Cela dit, nous sommes de plus en plus conscients de l'impact environnemental occasionné par les activités humaines. Il doit y avoir un équilibre possible. Ce qu'il faut éviter, c'est la croissance à tout prix. Mais il faut aussi éviter de sacrifier des projets porteurs pour le bien commun à l'autel d'un environnementalisme exacerbé. J'ai bon espoir de voir émerger des technologies qui nous permettront d'exploiter nos ressources et de poursuivre notre croissance économique tout en réduisant notre empreinte environnementale.

Q: Qu'est-ce qui vous inquiète le plus pour le Québec?

RB La défaite du progrès. La victoire du «contre tout».

PC Une économie qui n'est pas assez productive. Parmi les déterminants de la productivité, notre plus faible taux de scolarisation universitaire et l'enjeu majeur de la persévérance scolaire. De plus, une relation souvent ambivalente à l'entreprise et au succès. Enfin, des finances publiques précaires et le poids élevé de la dette par rapport à notre PIB. Ce sont des enjeux auxquels j'accorderai beaucoup d'importance.

PM Le décrochage scolaire, le faible taux d'obtention du diplôme des jeunes Québécois francophones. Le cynisme, le désengagement social, la perte de confiance des citoyens envers les institutions démocratiques et ceux qui occupent des charges publiques.

Q: Nommez une oeuvre d'art qui vous inspire.

RB Le théâtre de Gilles Maheu et de Robert Lepage.

PC Le jugement dernier, de Michel-Ange, que j'ai eu la chance de voir à Rome. Une illustration profonde de la condition humaine.

PM Abstraction, de Jean Paul Riopelle. Une oeuvre saisissante de 1954 qui fait partie de la collection permanente du Musée national des beaux-arts du Québec depuis 1963 et devant laquelle je m'arrête, fasciné, à chacune de mes visites.

Q: À quelles conditions peut-on tolérer des inégalités de revenu? À partir de quand deviennent-elles intolérables?

RB Les défis sont d'assurer l'égalité des chances et de rester solidaires par le maintien d'un filet social convenable. Les inégalités de revenu ne deviennent intolérables que lorsqu'elles se construisent au détriment des moins bien nantis. Il n'y a rien d'indécent à ce que des individus s'enrichissent, surtout s'ils sont à l'origine d'activités créatrices de milliers d'emplois. Nous avons besoin au Québec de Paul Desmarais, de Pierre Karl Péladeau et de Guy Laliberté. Je crois qu'on doit maintenir un environnement qui fera en sorte de les retenir. Toute notre société profite de la richesse créée par nos entrepreneurs.

PC Difficile de fixer de façon arbitraire un repère chiffré pour déterminer la limite tolérable. Il existe des coefficients d'inégalité (GINI) qui nous permettent d'évaluer la situation. On doit dire que, sur ce plan, le Québec ne fait pas mauvaise figure par rapport au reste du Canada. Une des responsabilités importantes dans notre société est justement de corriger, par différentes mesures, ces inégalités en s'assurant d'une plus grande égalité des chances pour tous (qe.cirano.qc.ca/theme/revenus_et_inegalites/inegalites).

PM Elles sont intolérables lorsqu'elles reposent sur le sexe ou la discrimination.

Q: La majorité a-t-elle toujours raison? Est-ce parfois sage d'aller contre la volonté populaire?

RB Sur les grands choix de société, en démocratie, la majorité a raison. Je fais deux nuances. D'abord, certains grands moments provoquent des émotions intenses qui ne permettent pas aux décisions sages, fondées sur le jugement et la raison, d'émerger.

D'autre part, quoi qu'en pense la majorité, elle n'a pas raison si ses choix briment les libertés fondamentales des minorités. Voilà pourquoi, dans les démocraties constitutionnelles comme la nôtre, les chartes des droits et libertés existent, notamment afin de protéger les minorités.

PC Non, la majorité n'a pas toujours raison... Le courage politique consiste à affirmer et à maintenir des positions différentes si elles s'appuient sur des principes profonds.

PM Non, la majorité n'a pas toujours raison. S'il en était autrement, les femmes n'auraient pas obtenu le droit de vote, la peine de mort existerait toujours au Canada et l'avortement serait peut-être toujours un acte criminel. Il faut parfois aller à l'encontre de la volonté populaire, mais cela exige de la vision, du courage, la conviction nécessaire pour faire prévaloir le bien commun et l'obligation d'expliquer sa démarche. L'État a le devoir d'assurer la protection et le respect des droits de l'ensemble des citoyens, y compris ceux des plus faibles d'entre eux et des minorités.