Raymond Bachand craignait que le débat des candidats à la chefferie libérale soit ennuyant, car les positions des candidats diffèrent peu. Malgré quelques divergences, les trois prétendants étaient plus souvent en accord qu'en désaccord.

Alors que 57% des Québécois sondés par CROP ne font plus confiance au Parti libéral, la modératrice Dominique Poirier a réussi à arracher quelques me culpa. Elle a demandé si le parti avait «perdu son âme, ses valeurs, son essence», et comment faire pour que les libéraux regagnent la confiance de la population.

«Comme premier ministre, j'agirais plus vite dans certains cas, a dit M. Bachand». Il n'a pas voulu donner d'exemple. «Quand il y a des allégations sérieuses, je n'attendrais pas des mois», a-t-il ajouté.  Il a aussi affirmé que le gouvernement Charest «aurait pu mettre sur pied la commission d'enquête six mois plus tôt, peut être». L'ex-ministre des Finances a ajouté que dans les dernières années, le Parti libéral «n'était pas un parti d'idées.»

Pierre Moreau et Philippe Couillard ont assuré qu'ils n'auraient «aucune tolérance» face aux «comportements déviants». Selon M. Moreau, le parti souffre avant tout d'un problème de perception. La raison: le Parti québécois qui a «profité de son immunité parlementaire» pour lancer de la boue avec des allégations non fondées.

M. Couillard se désole par exemple du «traitement injuste» réservé à Line Beauchamp à cause de sa visite au club 357c. Il faut protéger la présomption d'innocence, a soutenu l'ex-ministre de la Santé. Malgré tout, le fils de Pierre Bibeau a dû quitter son équipe après que son nom ait été mentionné à la commission Charbonneau. «Nous sommes dans une époque où la perception est si importante qu'il faut se garder de l'accentuer», a-t-il expliqué.

La course à la chefferie ne se fait pas par suffrage universel auprès des militants. Ceux-ci élisent plutôt 24 délégués par circonscriptions. Ils voteront le 17 mars. Dans les sondages auprès de l'ensemble de la population ou des militants libéraux, M. Couillard mène.

Renouveau et crise étudiante

Le premier de cinq débats se déroulait au cégep Maisonneuve, théâtre de plusieurs affrontements lors de la crise étudiante. Le thème du débat: l'éducation, la relève et la main d'oeuvre.

Sur la forme, les trois candidats croient que le gouvernement aurait dû dialoguer davantage avec les leaders étudiants. Et il aurait aussi fallu négocier sur la place publique, comme le faisaient leurs vis-à-vis, croit M. Bachand. Il voudrait en outre imposer le vote secret par internet pour les grèves étudiantes. Ses rivaux sont aussi en faveur.

M. Couillard a essayé d'incarner le renouveau face au précédent gouvernement libéral. Il a été le plus critique. Il n'aurait pas adopté les mesures du projet de loi 78 qui limitaient le droit de manifester. Il est aussi le seul à ne pas s'opposer à l'indexation des droits de scolarité. Il s'agit d'un plancher dans sa réflexion, même s'il est ouvert à une hausse réelle. MM. Bachand et Moreau défendent une hausse.

Selon M. Bachand, cette hausse devrait toutefois être modulée selon le domaine d'étude. Un étudiant en santé devrait payer davantage pour ses études, car sa formation coûte plus cher, et aussi car il gagnera plus à son entrée sur le marché du travail. MM. Moreau et Couillard sont favorables à cette idée.

M. Couillard estime que les étudiants posent des questions légitimes sur de possibles gaspillages dans les universités. Il s'interroge par exemple sur les plans immobiliers, les budgets de fonctionnement et les marges de manoeuvre. «Philippe, avec tout respect ça n'a pas de bons sens ce que tu dis», lui a lancé M. Bachand, qui y voit une remise en question du financement des universités. M. Couillard assure croire au sous-financement universitaire.

Le neurochirurgien, en avance dans les sondages d'opinion, a été le moins cinglant envers ses adversaires. Il dit vouloir en rester au «débat d'idées».

Le taux de diplomation des universités québécoises est inférieur de 4% à celui des universités ontariennes, s'est inquiété M. Moreau. Il note aussi que seul le Québec dispose d'un réseau de cégeps. Il y voit un lien entre les deux. Il propose donc «d'ouvrir le débat sur la pertinence des cégeps», et peut être de les abolir.

Les deux autres candidats ne sont pas d'accord. Le réseau des cégeps «a été une institution des plus utiles pour augmenter la scolarisation des Québécois». Les cégeps servent aussi de leviers économiques en région et permettent aux futurs étudiants universitaires de «coexister» avec ceux qui font des études techniques, ajoute-t-il.

Pour lutter contre le décrochage scolaire, les trois candidats s'accordent pour fournir plus de modèles masculins aux garçons et miser sur des programmes comme le sport-étude ou les programmes artistiques. M. Bachand a aussi suggéré le bénévolat obligatoire pour les élèves du secondaire, et des investissements en économie sociale afin d'améliorer l'aide aux élèves.

M. Couillard propose un système incitatif pour qu'un nombre suffisant de professeurs soient des hommes, et donner ainsi des modèles.

Immigration : moins de français dans la grille

Pour combler ses besoins en main-d'oeuvre, il faut modifier la grille d'évaluation des immigrants, croit M. Moreau. Plusieurs jeunes diplômés universitaires espagnols et portugais sont au chômage, constate-t-il. Il faudrait diminuer le poids du français dans la grille de sélection pour les attirer. La capacité d'intégration au marché du travail compterait donc davantage.

Les nouveaux arrivants pourront ensuite apprendre le français au Québec, soutient M. Moreau. «S'ils sont bons, ils vont apprendre le français». Pour ce, il propose d'investir davantage dans l'intégration et la francisation.

Le manque de reconnaissance des diplômes étrangers nuit aussi à l'intégration des immigrants dans le marché du travail, selon les trois candidats. M. Couillard a donné l'exemple d'un ingénieur guinéen, diplômé en Suisse, qui ne réussit pas à trouver un emploi. M. Bachand a même proposé de «casser les ordres professionnels» pour les forcer à reconnaître les diplômes étrangers. Il a rapidement corrigé le tir en atténuant la formule.

Bonjour ou hi?

Sans surprise, aucun des trois candidats ne veut renforcer la Loi 101. Ils proposent de s'assurer qu'elle soit bien appliquée. Et les Québécois ont aussi la responsabilité de demander d'être servis en français, ajoutent-ils. De 2010 à 2012, l'accueil en français dans les commerces de Montréal a chuté de 89% à 74%. En contrepartie, l'accueil bilingue a augmenté de 1% à 13%. M. Moreau n'y voit pas de problème. C'est entre autres pour les touristes, dit-il.

M. Couillard refuse qu'on dépeigne le bilinguisme en «menace». Il se dit au contraire «attristé» de voir des jeunes francophones ne pas parler anglais. Même si le français doit rester la langue de travail, l'anglais demeure un atout important dans l'économie mondialisée.