Pendant que le bras de fer se poursuit à l'Assemblée nationale, un vide juridique s'installe sur les chantiers. La ministre du Travail, Agnès Maltais, et l'opposition s'accusent mutuellement de paralyser les chantiers à cause de leur intransigeance.

Depuis dimanche, les entrepreneurs ne peuvent plus parler aux syndicats. Ils doivent communiquer par le truchement du nouveau système de référence de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Mais ce système est loin d'être prêt. «Il y a un trou, il y a un vide», reconnaît la ministre.

Mme Maltais refuse la rencontre de travail que demandent libéraux et caquistes parce qu'elle veut commencer dès maintenant l'étude de son projet de règlement en commission parlementaire.

Mais l'opposition bloque le dépôt du projet de loi, qui permettrait de reporter la date à partir de laquelle le placement syndical est interdit. Le projet de règlement péquiste permet à «l'intimidation et à la collusion» de se poursuivre dans les chantiers, croit le libéral Guy Ouellette. S'il en permet le dépôt, il perdra son rapport de force pour faire reculer le gouvernement. Mme Maltais doit comprendre que son gouvernement est minoritaire, renchérit le caquiste Christian Dubé.

La loi 30 a été adoptée à l'unanimité le 2 décembre 2011. Elle donnait un an aux élus pour adopter le règlement sur le nouveau système de référence. Mais le travail n'est pas fini. Il y a eu une campagne électorale et un changement de gouvernement. En outre, Mme Maltais accuse le précédent gouvernement libéral de s'être traîné les pieds. Le comité de transition a aussi éprouvé des difficultés. La FTQ-Construction et l'International, qui représentent 70% des travailleurs de la construction, le boycottent. Ils ne décolèrent pas contre le projet de loi.

La CSN-Construction et la CSD, des centrales plus petites, se plaignaient d'être victimes d'intimidation. Elles ont appuyé la loi.

Dans 85% des chantiers, les entrepreneurs appellent directement les ouvriers. C'est seulement dans 15% des chantiers - les plus grands, où il est difficile de bien évaluer les besoins de main-d'oeuvre et de répartir les travailleurs - que les syndicats placent leurs membres.

Selon ce que prévoyait la loi, la CCQ administrera un nouveau système de référence informatisé pour ces chantiers. L'entrepreneur enverra ses demandes de main-d'oeuvre à la CCQ, qui les acheminera à tous les syndicats. Ces derniers renverront à la CCQ leurs listes de travailleurs. Cette liste, sur laquelle l'affiliation syndicale ne figure pas, sera remise à l'entrepreneur.

Après des consultations avec les syndicats, Mme Maltais a ajouté une étape à ce processus. L'entrepreneur devra indiquer s'il souhaite ou non que les syndicats communiquent avec lui. S'il répond oui, les deux pourront se parler, mais seulement après que la liste de tous les travailleurs disponibles aura été transmise. Mme Maltais dit avoir répondu à une demande des entrepreneurs eux-mêmes, qui veulent pouvoir mieux gérer la main-d'oeuvre des grands projets. Mais l'opposition l'accuse d'avoir «plié devant les syndicats» et de permettre à l'intimidation de se poursuivre dans les chantiers.

Selon ce que prévoyait la loi 30, le gouvernement doit déposer un projet de règlement et l'étudier en commission parlementaire. Or, la CCQ a écrit à Mme Maltais le 12 novembre pour dire qu'elle ne réussirait pas à mettre sur pied à temps son système de référence. Sa présidente, Diane Lemieux, souhaite qu'on reporte au mois de septembre la fin du placement syndical.

La ministre a donc déposé un projet de loi qui contient deux éléments: le report de la fin du placement au 9 septembre 2013, et le projet de règlement. Le problème pour l'opposition, c'est que le projet de règlement n'est pas soumis à un vote. Après son étude en commission parlementaire, le gouvernement l'adopte par décret. Rien n'obligerait donc Mme Maltais à tenir compte des critiques libérales et caquistes.

L'opposition a donc utilisé son seul recours: empêcher le dépôt du projet de loi. Ce qui fait en sorte qu'on n'a pas réussi à reporter la fin du placement syndical et qu'il existe depuis hier un vide juridique.

MM. Dubé et Ouellette demandent à Mme Maltais une rencontre de travail pour modifier le projet de règlement avant son dépôt. Cette rencontre doit se dérouler en commission parlementaire, répond Mme Maltais. Elle promet d'être «ouverte à la bonification». Elle a même indiqué qu'elle pourrait effacer la case qu'un entrepreneur cocherait pour permettre à un syndicat de le joindre.

«Ça prend une date (pour reporter la fin du placement). Si on n'a pas de date, on laisse l'industrie de la construction dans le vide jusqu'en février, à la rentrée parlementaire. Ça veut dire que les grands chantiers qui vont ouvrir au mois de février seront hors la loi. Ça n'a pas de sens.»



Syndicat furieux


«On a conseillé à nos membres d'être très prudents, on ne se placera pas dans l'illégalité», commente Donald Fortin, directeur général de l'International.

«Pour les chantiers déjà actifs, il n'y a pas de problème. Mais s'il y a un bris dans une raffinerie, par exemple, et qu'il faut 100 travailleurs demain, on fera quoi? Sans référence, les employeurs qui ont besoin de beaucoup de travailleurs vont avoir un problème. Et il y a aussi des chantiers qui veulent de plus grosses équipes pour pouvoir fermer avant les Fêtes», ajoute-t-il.

Il accuse l'opposition de jouer «une game médiatique» au détriment des travailleurs.