Calculant que sa réfection n'est plus justifiée financièrement, Hydro-Québec recommande la fermeture de la centrale nucléaire Gentilly-2. Selon la plus récente estimation, la réfection coûterait 4,3 milliards de dollars, soit plus du double du coût prévu en 2008.

Le patron de la société d'État, Thierry Vandal, a rendu le rapport public aujourd'hui. La fermeture est financièrement «nettement plus avantageuse», soutient-il.

«L'annonce d'aujourd'hui est dictée par la sagesse, la responsabilité et des considérations économiquement mûrement réfléchies. Nous devons adapter notre économie au 21e siècle», a ajouté la ministre Martine Ouellet, qui l'accompagnait en conférence de presse.

Le réacteur de la seule centrale nucléaire du Québec sera mis en arrêt le 28 décembre. Commencera ensuite un long processus de fermeture, qui se terminera vers 2060. Le coût total: 1,8 milliard de dollars, échelonnés sur 50 ans.

Dépassements de coûts: le gouvernement libéral

Le Parti québécois ne détenait pas ces chiffres lorsqu'il a promis de fermer la centrale. Et inversement, le gouvernement libéral devait être au courant des importants dépassements de coûts prévus lorsqu'il répétait avoir un «préjugé favorable» en faveur de la réfection. 

Le printemps dernier, le gouvernement Charest avait prétendu ne pas savoir si l'estimation des coûts avait augmenté. «Le dernier chiffre officiel qu'on a, c'est 1,9 milliard», avait affirmé l'attachée de presse de Clément Gignac, alors ministre des Ressources naturelles.

Or, M. Vandal a indiqué aujourd'hui qu'il était «de notoriété publique» que l'estimation des coûts de la réfection avait dépassé 3 milliards de dollars. Et il a avancé que le Ministère avait accès à cette information. «On échange de l'information, bien sûr, sur une base régulière avec notre actionnaire, le gouvernement», a-t-il dit. Le sous-ministre des Ressources naturelles siège sur le conseil d'administration de la société d'État. Et le ministre peut aussi avoir des conversations directes avec Hydro-Québec, a-t-il rappelé.

Ces données permettaient de conclure que le projet n'était plus rentable, a laissé entendre M. Vandal. «À partir du moment où on était à plus de 3 milliards, les données conduisaient directement à la recommandation qui a été faite au gouvernement, c'est-à-dire que c'est nettement plus avantageux au niveau financier de procéder à la fermeture immédiate. Et ça, c'est une information qui s'est bâtie au fur et à mesure qu'on allait chercher le retour d'expérience», a expliqué M. Vandal.

«Le projet n'est pas devenu un mauvais projet en septembre», a-t-il indiqué plus tard.

Quel estimé de coûts avait été donné au gouvernement libéral? M. Vandal n'était pas en mesure de donner un chiffre précis. Le coût variait en fonction de la date de début des travaux, explique-t-il.

Mais le Parti libéral assure aujourd'hui qu'il n'a jamais reçu la recommandation finale de fermer la centrale. Ce que M. Vandal a confirmé. «Hydro-Québec ne fait pas de politique», a-t-il insisté, en affirmant ne pas avoir communiqué avec des représentants des partis politiques durant la campagne électorale.

Son rapport a été déposé après que le gouvernement Marois ait confirmé qu'il fermerait la centrale.

Hydro-Québec avait entamé la réfection en 2008 mais a ralenti de façon très importante les travaux pour attendre le rapport sur les coûts de la réfection de la centrale jumelle de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick. Il voulait aussi tenir compte de l'instabilité créée par la vente d'Énergie atomique Canada, qui compliquait la réfection. À la suite de la catastrophe à Fukushima au Japon en 2011, on attendait aussi un autre rapport sur la mise à jour des risques. De nouvelles contraintes en matière de sécurité devaient en découler, ce qui allait engendrer de nouveaux coûts.

La réfection de Gentilly-2 a donc été jugée non rentable en raison de  l'expérience de Point Lepreau, des nouvelles exigences sécuritaires et de la chute des prix de l'électricité provoquée par la concurrence du gaz aux États-Unis.

Sans avoir de chiffre précis, Mme Ouellet a dit que c'est ce que les péquistes «pressentaient» après avoir analysé le dossier. Comme M. Vandal, elle a ajouté que le Québec était déjà en surplus d'énergie. «Je ne porte pas de jugement sur l'énergie nucléaire pour les autres pays. Mais, pour le Québec, nous avons des énergies alternatives disponibles, renouvelables qui sont beaucoup plus intéressantes, tant d'un point de vue économique que d'un point de vue environnemental», a expliqué la ministre Ouellet.

Près de deux milliards de moins en 2012

À partir de 2017, la réfection aurait «amputé» les résultats annuels de la société d'État de 215 millions de dollars, explique M. Vandal.

La fermeture ne change rien aux tarifs d'électricité, a-t-il tenu à rappeler.

Par contre, la fermeture implique une importante baisse du dividende versé au gouvernement du Québec. Trois «réécritures comptables» devront être faites. Il faudra radier les sommes déjà investiesdans la réfection, soit environ 950 millions de dollars. Et il faudra aussiradier l'actif de la centrale et prévoir la provision pour les frais de fermeture. Résultat: c'est 1,7 milliard de dollars de moins qui figurera dans les livres de la société d'État en 2012. Le gouvernement, qui espère toujours retrouver l'équilibre budgétaire en 2013-14, recevra donc 1,2 milliards de moins d'Hydro-Québec (le gouvernement reçoit 75% des dividendes).

Plus de 700 employés touchés

La fermeture affecte 736 employés permanents ou temporaires. Plusieurs d'entre eux pourront travailler sur la fermeture. Ils seront 440 à y travailler en 2013, 200 en 2014 et 160 en 2015-16. Il n'en restera que 64 en 2019. Pour les autres syndiqués, un plan de relocalisation sera mis en place. Ils seront payés en attendant leur transfert. «Toutes les conventions collectives et les exigences des normes du travail seront respectées», a promis M. Vandal.

Pour compenser la région, le gouvernement Marois promet un fonds de diversification économique de 200 millions $. La communauté d'affaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec s'est montrée sceptique.

À cela doivent s'ajouter des investissements privés, espère Mme Ouellet. «(Notre fonds) est vraiment un levier de développement économique», a-t-elle souligné.

Jusqu'en 2062

Cinq grandes étapes devront être franchies, a expliqué M. Vandal. D'abord, la préparation à la dormance, qui durera 18 mois. On retirera le combustible et l'eau lourde et désactivera plusieurs systèmes.

Suivra une période de dormance de 40 ans, jusqu'en 2055. Le combustible irradié sera placé dans des contenants en béton armé.

Le démantèlement commencera ensuite. Il durera cinq ans. Après 2050, on entreposera le combustible et les matériaux irradiés dans un «site d'enfouissement géologique profond». Ce site sera au Canada. Il n'a pas encore été choisi.

Puis ce sera la dernière étape en 2060: la remise en état du site, pour pouvoir l'utiliser à d'autres fins. Ce processus doit se terminer vers 2062.

Même si Hydro-Québec avait fait la réfection, il aurait fallu éventuellement passer à la fermeture. Et avec le combustible additionnel utilisé pendant ces années, la fermeture aurait coûté encore plus cher, a expliqué M. Vandal. «La fermeture à court terme (en 2012) est avantageuse», résume-t-il.