La course à la direction, dans un parti, est toujours un saut vers l'inconnu et souvent l'occasion de débats. Certains, au Parti libéral du Québec, remettent ainsi sur la table la question du mode de désignation de leur chef. Actuellement, celle-ci se fait sur le choix de délégués, incitant à toutes sortes de manoeuvres. La possibilité d'un vote universel des membres refait surface.

Quand Gérald Tremblay se présentait aux Conseils généraux du PLQ en 1992, le populaire ministre de l'Industrie et du Commerce arrivait escorté d'un aréopage de militants et de conseillers. Des ministres importants, tels que Gil Rémillard, Liza Frulla, Marc-Yvan Côté, Pierre Paradis, s'affichaient publiquement derrière lui. Même Mario Bertrand, chef de cabinet de Robert Bourassa, le soutenait. Deux jours avant de lancer sa campagne, en octobre 1993, Gérald Tremblay a abandonné. Il a expliqué que «les chiffres ne sont pas là», qu'il ne pourra «compte tenu du temps imparti et des règles du jeu, [...] remporter la bataille du choix des délégués».

En fait, depuis des mois, Daniel Johnson préparait sa prise du pouvoir et le candide Gérald Tremblay n'avait aucune chance.

Une autre leçon de choses, du côté péquiste cette fois. Pendant des années, François Legault avait jalousement préservé un commando de jeunes militants, dont François Rebello, Martin Koskinen, Patrick Lebel. Avec un seul objectif en tête: conquérir le poste de chef du Parti québécois. Mais, une fois encore, retournement de situation: après la démission-surprise de Bernard Landry, en 2005, Legault annonce qu'il ne tentera finalement pas sa chance.

Nervosité

À la lumière de ces exemples, on peut comprendre les députés libéraux qui jouent de prudence actuellement, attendant d'être sûrs que leur candidat - que ce soit Pierre Moreau, Raymond Bachand ou Philippe Couillard - ira jusqu'au bout.

Cette fois, personne ne se préparait vraiment dans les coulisses à succéder à Jean Charest. Il faut dire que son entourage écrasait toute velléité. Le regretté Claude Béchard l'avait appris à ses dépens. Pour avoir trop roulé des mécaniques, on l'avait écarté du podium, lors d'un rassemblement partisan, dans sa propre région.

Les courses à la direction qui s'appuient sur le choix de délégués réservent toujours des surprises. En 1983, par exemple, personne n'aurait parié sur les chances de Pierre Paradis, l'avocat des producteurs de porc, élu depuis deux ans seulement, de devancer au fil d'arrivée Daniel Johnson, le fils d'un ancien premier ministre.

Pour cette course à la direction, les éventuels candidats se préparent. Philippe Couillard a agi méthodiquement pour gagner l'appui de stratèges libéraux, des organisateurs susceptibles de l'aider dans la course aux délégués. La constitution du PLQ prévoit en effet qu'un chef soit choisi par un congrès de délégués. Vingt-quatre militants sont sélectionnés dans chaque circonscription pour former ce congrès.

Le folklore politique québécois

Cette opération de ratissage de délégués fait partie du folklore politique québécois. Une anecdote suffira: pour la course à la direction du Parti conservateur de 1983, les hommes de main de Brian Mulroney avaient enrôlé les résidants de la Mission Old Brewery, refuge pour sans-abri du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, pour aller choisir les délégués pro-Mulroney. Un dérapage parmi tant d'autres.

Dans ces circonstances, pas surprenant qu'au sein du PLQ, beaucoup s'interrogent sur la possibilité de tenir un vote au suffrage universel des membres, ce qui se fait dans tous les autres partis depuis des années. Le PQ avait ainsi innové en 1985, ce qui avait eu pour résultat de faire élire au poste de chef Pierre-Marc Johnson, qui n'a tenu que deux ans. En 2005, les péquistes avaient préféré André Boisclair à Mme Marois, qui n'avait reçu que 20% des voix au suffrage universel des membres. C'est pourtant elle qui sera première ministre. Le suffrage universel n'est donc pas une garantie d'infaillibilité.

La réflexion va donc bon train au PLQ. Ainsi, jeudi, conversant avec les journalistes, le ministre Raymond Bachand se demandait si les délégués ne pourraient pas être choisis par l'ensemble des membres d'une circonscription. La constitution du PLQ force le recours aux délégués, et les apparatchiks libéraux soutiennent que le temps manquerait pour tenir un congrès - le seul moyen de changer la constitution - puisque l'objectif est que le nouveau chef soit en poste au moment de l'examen du prochain budget, soit en mars ou avril 2013.

Débat non clos

À l'époque de Daniel Johnson, on avait déjà travaillé sur un nouveau mécanisme et le tout aurait pu être adopté dans un congrès spécial, d'une seule journée. Mais ça n'était pas allé plus loin.

La question resurgit donc, mais son issue n'est pas scellée. D'une part, les candidats à la succession de Jean Charest auront à prendre position sur le mécanisme qui choisira le prochain chef. Dans l'entourage de Pierre Paradis, on chuchote déjà que c'est la seule question qu'il pose à ceux qui le courtisent. D'autre part, des éminences grises au PLQ sont d'avis que rien ne presse et que le nouveau chef pourrait arriver en juin, voire à l'automne 2013. Car même élu pour le budget, il ne sera pas encore en mesure de renverser le gouvernement. D'ailleurs, l'arrivée d'un nouveau visage au PLQ pourrait faire fondre, temporairement tout au moins, les appuis à la Coalition avenir Québec. Et François Legault pourrait bien être forcé de ranger son couteau.