Le conflit étudiant s'est peut-être transformé en crise sociale, mais lors des élections partielles lundi, les libéraux pourraient fort bien conserver les circonscriptions de LaFontaine et Argenteuil. Deux circonscriptions où des ministres libéraux ont dû abandonner leur portefeuille dans la controverse. Portrait d'une campagne qui porte sur la crise d'un hôpital régional et d'une autre qui se déroule dans l'indifférence.

Dans un café de Montréal-Nord de LaFontaine, peu de clients veulent parler de la campagne pour trouver un successeur à Tony Tomassi. «De toute façon, je ne vote plus», avoue Yvon Létourneau.

On s'attend à ce que seulement un électeur sur trois vote lundi. Il n'y a même pas eu de débat entre les candidats.

M. Létourneau se souvient bien de Tony Tomassi. Quand il était jeune, il le voyait dans le camion de son père Donato, qui avait alors une entreprise de céramique. Il n'excuse pas le comportement du politicien. Mais il n'ira pas sanctionner son parti lundi.

Même chose pour son voisin de table. « Quand un prêtre sacre à la messe, t'as pas le goût de rester pour l'écouter », lance-t-il avant de faire dévier la conversation sur Guy Turcotte.

M. Tomassi, député démissionnaire, fait face à six chefs d'accusation au criminel, donc fraude et d'abus de confiance. Mais Domenico Cavaliere, candidat de la CAQ qui a grandi dans LaFontaine, ne semble pas en profiter. Sa campagne pourrait poliment être qualifiée de modeste. Même avec l'adresse, on peine à trouver son bureau. Une feuille collée sur la porte d'entrée avec trois morceaux de ruban gommé nous conduit à une petite salle grise presque vide, cachée entre un bureau de dentiste et de médecin. On y retrouve le politicien néophyte, seul avec sa conjointe.

« C'est pour mes enfants que j'ai voulu m'impliquer, pour changer les choses», dit l'avocat. Il a pris un congé sans solde pour tenter sa chance. Sa campagne est surtout dirigée à distance, à partir du quartier général du parti dans le Vieux-Montréal.

Pourquoi ne ressent-on pas plus de grogne contre M. Tomassi et son parti? « Peut-être parce que la communauté italienne est fière, répond-il. Quand les médias parlent de corruption, ils donnent souvent des noms italiens. Beaucoup de gens ici ont l'impression qu'on culpabilise la communauté par association, et ils n'aiment pas ça.»

Durant notre interview, M. Cavaliere parle de commissions scolaires et de transports. Il n'aborde pas le passé politique de M. Tomassi. « Je n'aime pas le salissage », dit-il. Il y a goûté. Une publication locale italienne l'a accusé d'être séparatiste. « C'est complètement faux », s'exaspère-t-il.

LaFontaine est un château fort libéral. Aucun parti d'opposition n'y a récolté plus de 20% des votes depuis 1998. Le PQ n'y fonde pas d'espoirs. Il y présente un jeune candidat de Saint-Hyacinthe.

Les libéraux avaient offert cette convoitée circonscription à l'ancien député libéral fédéral Pablo Rodriguez. Il a décliné l'offre. C'est finalement le président du parti, Marc Tanguay, qui s'y présente. M. Tanguay était plutôt pressenti pour briguer une circonscription de la Rive-Sud.

M. Tanguay se défend d'être parachuté. Dans un café à côté de son bureau, il décline tous les enjeux locaux, sans oublier de parler des groupes des importantes communautés italiennes et haïtiennes de Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies.

M. Tanguay est avocat de formation. Il travaillait pour GE. Il y était spécialisé en éthique. Estime-t-il que LaFontaine est un comté symbolique du mécontentement des Québécois envers le gouvernement Charest, et des allégations de corruption? « Pas particulièrement », répond-il. Il ajoute que «tous les comtés sont des tests.»

Le PLQ a-t-il à tout le moins un défi pour changer son image? « Les gens ne sont pas désincarnés de ce qu'on entend dans les médias », concède-t-il. « Mais mon défi à moi, c'est de faire connaître Marc Tanguay.»

Les casseroles et l'hôpital

Le bruit des casseroles reste un bruit de fond dans la campagne dans Argenteuil. À Lachute, pour une population de 12 000 personnes, il y a tout de même eu près de 200 manifestants. Mais la circonscription ne compte pas d'université, ni de cégep.

La campagne porte surtout sur l'hôpital local, en pleine crise. Huit médecins ont claqué la porte cette année. Le directeur général a aussi quitté dans la controverse. Le temps d'attente à l'urgence a augmenté de 34% depuis 2003, soit de 16h à 23h. « Mes adversaires mènent une campagne de peur, ils disent que l'hôpital va fermer », déplore la candidate libérale Lise Proulx. Cofondatrice de la fondation de cet hôpital, elle a aussi été directrice des communications à l'Agence de la santé et des services sociaux. L'automne dernier, elle a pris une sabbatique pour perfectionner son anglais à McGill.

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, s'est rendu dans Argenteuil pour rassurer les électeurs. Mais il est resté évasif sur un engagement. On ne sait toujours pas quand l'hôpital recevra le 60 millions $ qui lui avait été promis il y a quatre ans.

Le PQ et la CAQ l'ont encore rappelé hier. C'est aussi une préoccupation pour les autres candidats, comme le chef du Parti vert, Claude Sabourin, Patrick Sabourin d'Option nationale et Yvan Zanetti de Québec solidaire. « Mon objectif, c'est de faire connaître notre parti dans Argenteuil et de parler de justice sociale », explique modestement M. Zanetti, un danseur contemporain qui s'est installé dans la région il y a une dizaine d'années, où il travaille en rénovation.

Du Bloc à la CAQ

David Whissell a démissionné en décembre dernier. En septembre 2009, il avait quitté son poste de ministre du Travail dans la controverse. Des contrats publics avaient été alloués sans appel d'offres à ABC Rive-Nord, compagnie d'asphaltage de sa famille dans laquelle il détient des actifs.

Mme Proulx a été attachée de presse pour M. Whissell. « Sur le plan éthique, M. Whissell a respecté les règles », affirme-t-elle.

Elle semble en bonne position pour l'emporter. Argenteuil est détenue par les libéraux depuis 1966. En 1998, la lutte y fut serrée. Les libéraux avaient gagné par seulement 148 votes. Mais la carte a été redécoupée depuis. Les municipalités plus favorables au PQ sont passées dans Mirabel.

« On part de loin », reconnaît le candidat péquiste, Roland Richer. Mais cet ancien directeur d'école pense néanmoins que le PQ « pourrait surprendre ». Il note que seul le Parti libéral ne montre pas son chef sur ses pancartes. « Le taux d'insatisfaction se ressent ici aussi.»

Pour que la CAQ ou le PQ causent une surprise, il faudrait probablement que le taux de participation grimpe au-delà de 50%. Le PQ espère que les craintes entourant l'hôpital et les manifestations incitent la population à voter.

Mais en marge de la lutte contre les libéraux, M. Richer mène un combat plus personnel contre le candidat caquiste, Mario Laframboise. Ancien député bloquiste, M. Laframboise avait organisé la campagne du Bloc au printemps 2011. Et il a présidé l'élection pour trouver successeur à Gilles Duceppe.

M. Richer, membre fondateur du Bloc, l'a déjà aidé dans ses précédentes campagnes. « On est furieux », lance-t-il. A-t-il l'impression d'avoir été trahi? « Totalement », répond-il.

Dans son bureau de Lachute, M. Laframboise explique son changement de camp. « Quand le PQ a choisi d'adopter les référendums d'initiative populaire (en janvier dernier), j'ai pris ma décision. Je ne suis pas un pur et dur », raconte-t-il.

Il rit quand on l'accuse d'opportunisme. La CAQ était troisième dans les sondages lorsqu'il a fait le saut, rappelle-t-il. Comme son chef François Legault, il se dit encore souverainiste, mais croit qu'il faut mettre le débat entre parenthèses pendant au moins 10 ans, surtout pour assainir les finances publiques. M. Laframboise fait partie des pessimistes à cet égard. « Si le Québec était un pays, avec sa part de la dette canadienne, il serait  la cinquième nation la plus endettée au monde », lance-t-il.

Mais les libéraux ne veulent pas oublier si rapidement la question nationale. « Je pense que ça va être une élection entre fédéralistes et souverainistes », dit M. Proulx.