Après un round, bien peu de gens auraient parié sur Justin Trudeau. Au bout de seulement deux minutes, baraqué, intense, le sénateur conservateur Brazeau paraissait en voie d'aplatir comme une crêpe le «silverspoon» de Westmount. Ce n'est pourtant pas ce qui est arrivé. Trudeau a vite profité d'un avantage fondamental en boxe: il avait, de loin, la plus longue portée.

De la même manière, il ne faudrait pas donner trop vite François Legault pour battu. Surtout pas après le rendez-vous de la fin de semaine de la Coalition avenir Québec (CAQ). Problèmes financiers, confusion dans les prises de position, désistement de candidats-vedettes, cascade de sondages dévastateurs: le parti est bien amoché après seulement six mois d'existence. Mais François Legault a lui aussi un atout déterminant: c'est son parti qui représente le changement.

Un test important

Pour Legault, le rendez-vous de Victoriaville était un test important. Les stratèges caquistes attendent fébrilement les prochains sondages: ils sont convaincus d'avoir atteint en mars un plancher, à 22% d'appuis. Une nouvelle chute et on risque toutefois la déroute. Le congrès de la fin de semaine doit donc être ce moment charnière où l'appareil reprend de l'altitude plutôt que de tomber en vrille. Ce premier ralliement devait être une vitrine attirante, même si, en coulisse, on retrouve un parti fauché qui annonce frénétiquement ses candidats pour les transformer aussitôt en vendeurs de billets de cocktail et en chasseur de contributions.

Leur cible, selon la circonscription, va de 10 000$ à 25 000$. À Laval ou à Québec, vous devez faire le maximum, alors qu'on se contente de 10 000$ pour les circonscriptions de l'île de Montréal. Fauchée, la CAQ se prépare à une campagne sans publicité télévisée, s'appuyant sur les médias sociaux. Les candidats-vedettes se désistent ou restent en touche, convaincus que les élections sont encore loin.

Mais les 600 délégués réunis samedi ont franchi sans faux pas ce premier test du congrès. Legault d'abord, qui doit se défaire de son costume de comptable sans émotion. Sa garde rapprochée n'avait rien épargné pour donner un surcroit d'âme au chef, en présentant une vidéo de sa mère, de ses amis d'enfance, même de sa «sévère» enseignante de septième année. Sans surprise, aucun de ses ex-partenaires d'affaires n'y figurait - rappelons qu'il avait claqué la porte d'Air Transat.

«Arrête de pleurer»

«Arrête de pleurer!» lui a même lancé sa conjointe Isabelle Brais, tandis que Legault, la voix brisée, peinait à démarrer son discours. Elle était venue dissiper un nuage qui planait depuis longtemps sur la tête du politicien en appuyant sans réserve sa décision de revenir en politique. En 2005, quand la chaise de Bernard Landry s'était libérée, M. Legault avait plaidé des raisons familiales pour se désister. De la même manière, il a coupé le sifflet à ceux qui disaient qu'il rentrerait dans ses terres s'il ne parvenait pas à devenir premier ministre: il affirme qu'il s'engage pour 10 ans, beau temps, mauvais temps.

On sentait bien que Legault jouait gros samedi. Son discours de 40 minutes - une longueur inusitée depuis quelques années - a été livré avec une énergie étonnante, sans faux pas, et surtout sans excès. À Québec, il y a deux mois, son inexpérience l'avait fait amorcer un discours avec beaucoup trop d'intensité; après trois phrases, il n'avait plus d'énergie pour hausser le ton... comme le sénateur Brazeau au second round.

Pas de surprise: les délégués ont approuvé presque sans modifications 54 des 59 résolutions préparées par la direction du parti. L'étonnement est venu de la rapidité de l'exercice. Après deux heures d'ateliers plutôt studieux, le bulldozer a démarré: pas de débat à moins que 50 personnes ne le réclament; pas de résolution renvoyée pour étude à moins que les deux tiers de la salle n'en conviennent. Le programme est rentré en gare à la minute près.

Mais voir la démocratie en accéléré fait parfois sourire. À trois reprises, des délégués étonnés sont venus au micro pour apprendre que leur congrès avait déjà adopté une résolution controversée qui permettait la mise en place de projets-pilotes où les médecins pourraient à la fois pratiquer au public et au privé. En matinée, cet héritage de l'ADQ avait fait grincer des dents en atelier: «On joue avec le feu, on s'engage dans quelque chose de dangereux», a prévenu sans détour un délégué de Laval.

Droits de scolarité

Ironiquement, l'une des rares propositions mises de côté était signée François Legault: sa solution au litige des droits de scolarité, soit un remboursement de la dette d'un étudiant modulée sur ses revenus.

En dépit de passages difficiles depuis la fondation du parti, François Legault a promis de triompher de l'adversité. «Il vente fort actuellement. Il va venter fort à l'avenir. Mais j'ai appris une chose en aviation: c'est face au vent qu'on fait lever les avions», a lancé le fondateur d'Air Transat avec une pointe de lyrisme, un atterrissage parfait à la fin de son discours.

C'est autre chose en coulisse. Peu de gens le savent: François Legault a peur en avion.