Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec l'actualité. La 11e question vient du public. Cette semaine, notre journaliste rencontre Raymond Bachand, ministre des Finances du Québec, qui a présenté son troisième budget mardi dernier.

1 Comment se prépare-t-on pour un budget?

On commence à la fin du mois d'août, en regardant l'état des finances publiques avec les différents ministères, puis on identifie les lignes de force sur lesquelles on souhaite travailler. Ensuite, il y a les consultations externes. Mes collègues et moi avons rencontré une soixantaine de groupes. Puis, de la mi-janvier à la mi-mars, c'est une période de travail intense, on travaille sept jours sur sept. Durant tout l'exercice, je me suis assis cinq fois avec le premier ministre pour regarder le budget dans ses détails. À la fin, un comité de lecture de 10 à 20 personnes se réunit et lit le budget à voix haute afin de s'assurer que tout est cohérent. Le budget est imprimé sur un réseau informatique indépendant, avec sa propre imprimante. On peut changer le fond du budget jusqu'à 10 jours avant sa publication, mais le cadre financier, lui, est fermé deux semaines avant, car il doit être harmonisé avec les crédits du Conseil du Trésor. Au total, environ 300 personnes travaillent sur le budget, avec un noyau d'une cinquantaine de personnes.

2 Qu'est-ce qui fait qu'à vos yeux, un budget est bien accueilli ou pas?

Il y a un dicton - avec lequel je ne suis pas d'accord - qui dit que si après 48 heures, personne ne parle de ton budget, c'est qu'il s'agit d'un bon budget. Quand je prépare le budget, je pense à mes trois enfants: est-ce que je leur laisse une société dans laquelle ils pourront prendre leurs propres décisions, contrairement à l'Europe du Sud où les jeunes sont pris avec les conséquences des choix des générations précédentes? Il faut choisir, sachant très bien que des gens ne seront pas contents. Les mois précédant la publication du budget servent aussi à ça, à bâtir des consensus.

3 Et est-ce que vous trouvez que votre budget a été bien accueilli?

Très bien. Ce qui me donne le plus de satisfaction, c'est que le contrôle des dépenses en fait un budget tourné vers l'avenir. Nous avons réussi l'équilibre budgétaire et les gens le reconnaissent. Maintenant, il faut convaincre les Québécois que nous pouvons aussi contrôler notre dette. Nous sommes sur la bonne voie.

4 Certains estiment que votre taxe santé est une façon de venir récupérer les baisses d'impôt. Qu'en dites-vous?

L'un n'a rien à voir avec l'autre. À partir du moment où on veut revenir a l'équilibre budgétaire, qu'on a besoin d'un milliard et qu'on ne veut pas augmenter les impôts, on fait des simulations. Au fond, la taxe santé est un copier-coller de la prime d'assurance médicaments. C'est la façon la plus efficace que nous avons trouvée pour financer les soins de santé.

5 Les dépenses en santé atteignent 31 milliards de dollars, un chiffre qui donne le vertige. Se dirige-t-on vers un mur?

Bientôt la santé va nous coûter 100 millionsde dollars par jour. La part du budget allouée à la santé, 5%, augmente plus vite que nos revenus. Ça va toujours gruger un peu le reste et c'est pour cela qu'il faut entreprendre un virage: le financement des hôpitaux selon l'activité, et le virage vieillir chez soi. En 2031, il y aura un million de personnes de plus qu'aujourd'hui qui seront âgées de 65 ans ou plus. Ce n'est pas la vieillesse en soi qui coûte cher, mais les trois dernières années de la vie. Les gens qui restent à la maison coûtent moins cher (10 millions plutôt que 70 en institution) et ils sont plus heureux. Je pense qu'on peut y arriver, mais pas sans contribution santé.

6 Il est beaucoup question du Plan Nord dans votre budget. Certains proposent qu'il y ait aussi un Plan Sud. Qu'en pensez-vous?

Je dirais que le Plan Nord est aussi un Plan Sud. Sur un total de 80 milliards de dollars d'investissement au cours des 25 prochaines années, il y en a 30 qui vont nous rapporter cinq milliards et demi. Plus de la moitié ira dans le Sud pour payer la santé et l'éducation ainsi qu'une partie dans le Fonds des générations. Le Plan Nord va générer beaucoup d'emplois et le Sud va en bénéficier.

7 Qu'y a-t-il dans votre budget qui compense les nombreuses pertes d'emplois dans la région montréalaise?

Montréal est une économie en transition. Oui, il s'est perdu des emplois, mais il s'en est créé des milliers dans le secteur aéronautique, chez Bombardier et ailleurs. Ce qu'il faut regarder, c'est dans quels secteurs on peut gagner sur la planète. Dans ce budget, il y a quelque chose pour la mode, la culture, le tourisme, les grands événements, le multimédia. C'est le Montréal de demain.

8 Qu'est-ce qui distingue un budget libéral d'un budget péquiste?

Je pense que sur le fond des choses, c'est la responsabilité financière. Depuis trois ans, nous revenons vers l'équilibre budgétaire sans coupes dramatiques et massives comme cela a déjà été fait dans les services publics. C'est accepter de prendre des mesures impopulaires à court terme parce qu'elles sont structurantes à long terme. Ce n'est pas un budget populiste.

9 Est-ce votre dernier budget?

J'ai une décision à prendre. J'avais décidé de ne pas réfléchir à cette question - même si elle est toujours dans le fond de ma tête -, car cela m'aurait empêché de travailler. J'ai une grande tentation de vouloir déposer un quatrième budget qui serait celui du retour à l'équilibre budgétaire. Je vais réfléchir à ça et je vais voir dans les prochaines semaines. Je ne vous ferai pas languir indéfiniment.

10 Ça vous a fait quoi de voir tous ces étudiants manifester dans les rues de Montréal, hier?

J'ai moi-même manifesté quand j'étais jeune, j'étais de la première grève de la faculté de droit, pour des raisons pédagogiques. Je suis content que la jeunesse s'exprime, mais cela étant, la majorité des étudiants sont en classe aujourd'hui. Je vois les étudiants, je les entends, je les écoute, mais je dois prendre une décision. Et eux, ils ont droit de s'exprimer s'ils ne sont pas d'accord. L'enjeu aujourd'hui, c'est le financement des universités. Or, ce sont toujours les mêmes qui paient dans la société. Quelle part les jeunes sont-ils prêts à payer?

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Pourquoi ne pas avoir montré ne serait-ce qu'un petit signe d'ouverture envers les étudiants?

Parce que je l'ai fait les années précédentes, et nous avons changé le système de bourses. Mes amis m'appellent pour me demander: pourquoi ne rencontres-tu pas les étudiants? Mais quand tu acceptes de rencontrer quelqu'un, c'est parce que tu sais que tu as une piste d'atterrissage. Quand tu es devant quelqu'un qui dit: je ne négocie pas, c'est le gel ou la gratuité, que va-t-il se passer ensuite? Les étudiants vont sortir en disant: «le ministre ne nous écoute» pas et ils vont encore manifester? J'ai toujours discuté toute ma vie, mais un moment donné, il faut prendre une décision.