L'ancien patron de l'Unité anticollusion (UAC), Jacques Duchesneau, rejette les reproches que lui fait le commissaire à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière. Si le Directeur général des élections (DGE) n'a pu mener jusqu'à présent aucune enquête sur ses révélations concernant le financement occulte des partis politiques, c'est la faute de M. Lafrenière, plaide-t-il.

Il invite Robert Lafrenière à «assumer son leadership» pour que son équipe lui obéisse et transmette au DGE les renseignements qui lui permettront de faire enquête. Il entend lui-même collaborer avec le DGE, qui ne l'avait pas joint depuis son départ de l'UAC.

La Presse a révélé hier que le DGE Jacques Drouin ne peut enquêter sur les révélations du rapport Duchesneau sur les caisses occultes et les élections «clés en main» parce que Robert Lafrenière ne lui a pas donné les renseignements nécessaires, contrairement à ce qu'il avait promis. Dans un aveu étonnant, le commissaire a expliqué que l'UAC refuse de lui donner ces renseignements - des noms de donateurs potentiels à des caisses occultes et des sources d'information - même s'il en est aujourd'hui le patron. Il a ajouté qu'il a demandé deux fois à M. Duchesneau de transmettre les renseignements au DGE, mais que celui-ci ne l'a pas fait.

Cette affirmation est fausse, assure Jacques Duchesneau. Après le dévoilement de son rapport et son passage en commission parlementaire, l'automne dernier, il dit avoir parlé à Robert Lafrenière à trois reprises, chaque fois très brièvement. Il n'a jamais été question du DGE. Lors de la dernière rencontre, le 28 octobre, M. Lafrenière l'a congédié.

La porte-parole de M. Lafrenière, Anne-Frédérick Laurence, a dit à La Presse que M. Duchesneau a «gardé l'information» que réclame le DGE et ne l'a pas donnée à l'UPAC. C'est faux, selon M. Duchesneau. En vertu d'une entente avec M. Lafrenière, il a laissé «tous les dossiers dans les coffres de l'UAC».

Il s'étonne que M. Lafrenière affirme que ce soit à lui de donner les renseignements. «Envoyer ça dans ma cour alors qu'on m'a enlevé mon mandat, que je n'ai plus accès aux dossiers ni aux anciens membres de mon équipe, c'est pousser la tasse de café un peu fort. Que M. Lafrenière assume son leadership!», a lancé M. Duchesneau.

Celui-ci affirme qu'il n'a plus de contact avec les membres de l'UAC qui ont travaillé avec lui. «Je ne leur parle même plus parce que je sais que, si je le fais, je vais leur causer des ennuis. C'est M. Lafrenière qui est leur boss. Ce sont eux qui ont les dossiers.»

Jacques Duchesneau entend collaborer avec le DGE comme il le fait en ce moment avec la commission Charbonneau. Des témoins qui se sont confiés à lui lors de son enquête à l'UAC souhaitent parler au DGE, a-t-il confirmé. Il n'a pas eu de nouvelles du DGE depuis son départ de l'UAC. Il tenait pour acquis que l'UPAC lui avait transmis les renseignements.

»Aucun bon sens»

Selon le député péquiste Bertrand St-Arnaud, «la situation actuelle n'a aucun bon sens». Il demande au gouvernement de «mettre le poing sur la table» pour que les renseignements soient transmis au DGE. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, n'a pas voulu faire de commentaires.

L'UAC relevait du ministère des Transports jusqu'au 6 septembre. Au cabinet du ministre Pierre Moreau, on affirme que «tous les renseignements détenus par l'UAC ont été remis à l'UPAC».

Dans un communiqué diffusé en fin d'après-midi, M. Lafrenière et M. Drouin affirment qu'«aucun conflit n'existe» entre eux. Ils souhaitent «que l'on puisse obtenir dans les meilleurs délais l'information que détiendrait Jacques Duchesneau».

M. Lafrenière fait valoir qu'«aucune source d'information n'a été identifiée dans les dossiers d'enquêtes menées par l'UAC avant son intégration à l'UPAC». Il ne revient pas sur le refus de l'UAC de lui donner le nom de témoins. «Nous serons heureux de prendre connaissance de tous les renseignements que pourront nous transmettre éventuellement l'UPAC ou M. Duchesneau», dit de son côté Jacques Drouin.

Pendant que tout le monde se renvoie la balle, le temps passe. Et la loi électorale prévoit un délai de prescription de cinq ans à compter de la date où une infraction est commise pour intenter une poursuite pénale en matière de financement illégal. Si l'infraction a été faite il y a plus de cinq ans, il est trop tard.