Les révélations fracassantes du rapport Duchesneau sur le financement occulte des partis politiques ne font encore l'objet d'aucune enquête. Le Directeur général des élections (DGE) ne peut commencer son travail en raison d'un conflit avec le commissaire à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière. Ce dernier se défend et fait un aveu étonnant: l'Unité anticollusion, qui était dirigée par Jacques Duchesneau, refuse de lui donner les renseignements que réclame le DGE même s'il en est aujourd'hui le patron.

Il ajoute qu'il a demandé à Jacques Duchesneau de transmettre les renseignements au DGE mais que celui-ci ne l'a pas fait.

Le 15 septembre, le DGE Jacques Drouin s'était dit «ébranlé» et «consterné» par le rapport de Jacques Duchesneau, que La Presse et Radio-Canada avaient dévoilé (voir encadré). Il avait aussitôt demandé au patron de l'Unité anticollusion (UAC) de lui donner «des pistes pour être capables de travailler», par exemple les noms des donateurs potentiels à des caisses occultes. Rappelons que le rapport Duchesneau ne nomme personne.

Une semaine plus tard, une rencontre entre les représentants du DGE et Jacques Duchesneau avait permis de jeter les bases d'une collaboration. Devant une commission parlementaire, le 27 septembre, M. Duchesneau avait affirmé que toute l'information recueillie au sujet du financement politique serait transmise à l'équipe de M. Drouin. Il avait dit être «dans le processus de prendre contact» avec les témoins «qui ont des choses à dire» afin qu'ils se confient au DGE. L'UAC avait recueilli le témoignage de 500 personnes en 18 mois d'enquête.

Mais le 28 octobre, Robert Lafrenière a congédié Jacques Duchesneau pour manque de loyauté. L'UAC relevait depuis peu du patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et non plus du ministère des Transports.

Engagement

M. Lafrenière avait aussitôt pris un engagement auprès du DGE. «À la suite du départ de M. Duchesneau, M. Lafrenière nous a assurés qu'il ferait le suivi et qu'il nous fournirait l'information pertinente à notre mandat. On est en attente de ces informations. On ne peut pas travailler sans ça», a affirmé à La Presse la porte-parole du DGE, Cynthia Gagnon.

Or, le DGE attend en vain ces données essentielles, a constaté La Presse. Robert Lafrenière ne les détient pas et n'a pas informé Jacques Drouin de la situation. «On n'a pas les noms pour cette partie-là» du rapport Duchesneau, a confirmé la porte-parole de l'UPAC, Anne-Frédérick Laurence.

Selon elle, Robert Lafrenière a demandé deux fois à Jacques Duchesneau de fournir au DGE les noms et les renseignements qu'il demandait. «Si le DGE ne les a pas eues, c'est malheureux. On ne peut pas en faire plus. M. Duchesneau a gardé cette information et ne nous l'a pas transmise», a-t-elle dit.

Robert Lafrenière a également demandé aux membres de l'Unité anticollusion, qui relèvent de son autorité et qui travaillaient auparavant avec M. Duchesneau, de transmettre les renseignements au DGE, mais il a essuyé un refus. «Ils ne les donnent pas», a dit Anne-Frédérick Laurence, ce qui laisse paraître un conflit à l'interne. «Si toute l'équipe dit «on ne donne pas le nom des témoins», on ne les a pas.»

La porte-parole de l'UPAC renvoie la balle à Jacques Duchesneau: «C'est à lui de transmettre les informations» au DGE. M. Duchesneau n'a pas rappelé La Presse. Notons qu'il avait transmis 17 dossiers à l'UPAC avant son congédiement, mais aucun ne concerne le financement politique.

Le rapport décrit un système d'une «ampleur insoupçonnée», infiltré par le crime organisé, qui permet de gonfler les coûts des travaux routiers. Les «extras» demandés par une firme au ministère des Transports font partie d'un stratagème pour constituer des caisses électorales occultes, explique un ingénieur sous le couvert de l'anonymat. Un ex-conseiller politique témoigne sur les liens entre le financement politique et l'industrie de la construction, tout en dénonçant le trafic d'influence. En commission parlementaire, Jacques Duchesneau a ajouté qu'une dizaine de firmes seraient impliquées dans l'organisation d'élections municipales «clés en main»: elles se chargent de l'organisation de la campagne d'un candidat - du financement à la publicité - dans le but d'obtenir ensuite des contrats. Il n'avait nommé ni les firmes ni les municipalités concernées.

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Ce que dit le rapport Duchesneau

Le rapport décrit un système d'une «ampleur insoupçonnée», infiltré par le crime organisé, qui permet de gonfler les coûts des travaux routiers. Les «extras» demandés par une firme au ministère des Transports font partie d'un stratagème pour constituer des caisses électorales occultes, explique un ingénieur sous le couvert de l'anonymat. Un ex-conseiller politique témoigne sur les liens entre le financement politique et l'industrie de la construction, tout en dénonçant le trafic d'influence.

En commission parlementaire, Jacques Duchesneau a ajouté qu'une dizaine de firmes seraient impliquées dans l'organisation d'élections municipales «clés en main»: elles se chargent de l'organisation de la campagne d'un candidat - du financement à la publicité - dans le but d'obtenir ensuite des contrats. Il n'avait nommé ni les firmes ni les municipalités concernées.