«Le ski (alpin), c'est de droite», s'exclamait le personnage d'Emmanuelle Béart dans le film À boire. La phrase peut faire sourire, mais elle montre que ce clivage est un peu partout, même si certains veulent s'en débarrasser», observe le politologue Alain Noël, coauteur de La gauche et la droite.

François Legault est un de ceux qui le trouvent sclérosant. Sa Coalition avenir Québec (CAQ) a ouvert une nouvelle voie politique, celle du «ni-nisme». «On n'est ni fédéraliste ni souverainiste, ni de gauche ni de droite», a-t-il martelé plus tôt en décembre. Cette journée-là, la CAQ a avalé l'ADQ, un parti qui s'est toujours qualifié de centre droit.

La CAQ ne propose pas «moins d'État», mais plutôt «mieux d'État». Difficile de situer sur l'axe gauche-droite ses mesures les plus médiatisées: hausser le salaire des enseignants et les évaluer, décentraliser le système de santé et d'éducation, rendre leurs dirigeants plus responsables et sabrer dans les commissions scolaires.

À l'image d'un gestionnaire, François Legault joue avec les structures, les salaires et la compétition pour améliorer les résultats», indique Jean-Herman Guay, politologue à l'Université de Sherbrooke.

En agissant ainsi, M. Legault veut devenir premier ministre sans faire de politique, croit Danic Parenteau, auteur de Les idéologies politiques. Le clivage gauche-droite. La politique ne se limite pas à la simple résolution de problèmes. C'est la gestion des conflits, argue-t-il. «Si on réussissait à diminuer les heures d'attente en brassant les structures, ce serait peut-être une solution qui ne serait pas de gauche ou de droite. Mais dans la majorité des cas, il n'existe pas une solution objectivement bonne. On en choisit une en fonction de principes et de valeurs. Et ces principes-là renvoient à la gauche et à la droite», explique le politologue qui participe aux États généraux sur la souveraineté du Québec.

En novembre, la CAQ a dévoilé son plan d'action, une liste de 20 propositions. Elle reste encore muette sur un grand nombre de sujets. Son programme doit être dévoilé à la fin de l'hiver. «Pour l'instant, c'est une série de mesures isolées. M. Legault n'a pas de vision. Par exemple, quelle vision propose-t-il pour notre système d'éducation?», lance M. Parenteau.  

La fin des idées?

Comme les autres personnes interviewées pour cet article, M. Noël reconnaît que le clivage gauche-droite simplifie la réalité. Les politologues ne cessent de concevoir des modèles plus raffinés, avec de nouvelles catégories.

C'est vrai, renchérit Marc Chevrier, politologue à l'UQAM. C'est le propre du langage politique de simplifier les choses et de les présenter par antagonisme.»

Et c'est utile, poursuit M. Noël. «La gauche et la droite constituent notre grammaire politique. On l'utilise pour comprendre ce que proposent - et aussi ce que feront - les partis. C'est important, parce que le gouvernement réagit souvent à des imprévus. Et les électeurs doivent prévoir en fonction de quels critères le gouvernement réagira. Le gros bon sens, on ne va pas très loin avec cela.»

La droite morale reste absente de nos débats politiques, observe M. Guay. Quand on parle de gauche-droite, il est question d'économie. Dans sa forme la plus simple, ce clivage porte sur l'égalité. La gauche veut tendre vers l'égalité de conditions - par exemple, de revenus. La droite défend plutôt une égalité minimale, celle des droits individuels, avec un minimum d'entraves étatiques.

Ce débat ne se fait pas toujours rationnellement. Il relève aussi de l'identité et de l'affect, comme l'a déjà soutenu l'intellectuel français Marcel Gauchet. «Les gens de gauche et de droite partageaient certains traits de personnalité distincts. Le psychologue américain John Jost l'a démontré dans une étude. Par exemple, les sujets de droite avaient tendance à moins aimer le changement et à se méfier davantage des autres», rapporte M. Noël. Selon le psychologue, les sujets de droite sont plus heureux et croient qu'on obtient ce qu'on mérite dans la vie.  

Diviser les camps sur un axe occasionne des effets pervers, déplorent depuis plusieurs années des politiciens comme Tony Blair, à la recherche de la fameuse «troisième voie». Chacun risque de se braquer dans ses positions, sans en examiner les conséquences. «Pensons seulement à la réforme de l'éducation. Chez nous, les progressistes ont eu tendance à la défendre sans apercevoir ses problèmes», souligne M. Parenteau.

Bush a pigé à gauche

Cela peut mener à des solutions bien intentionnées qui empirent les choses. «Peut-être qu'avec des programmes d'assurance sociale trop généreux, on diminuera le taux d'emploi. C'est une critique fréquente contre la gauche. Et à l'inverse, il y a l'allocation de 100$ pour chaque enfant d'âge préscolaire qui ne va pas dans une garderie subventionnée. L'intention est bonne, mais dans les faits, ça fera en sorte que moins de femmes travaillent», explique M. Noël.  

Toutefois, Marc Chevrier apporte une nuance. «Il n'y a pas de nécessité. Ce n'est pas parce qu'on parle de gauche et de droite qu'on est obligé de tomber dans ces pièges. Rien n'empêche les politiciens ou les commentateurs d'affiner leur analyse.»

Ces pièges, M. Legault dit vouloir les éviter en pigeant ses idées à gauche comme à droite. Mais il ne réinvente rien, dit Jean-Herman Guay. Durant la récente crise financière, même le président Bush s'était résigné à recourir au modèle keynésien interventionniste, associé à la gauche, pour relancer l'économie, rappelle-t-il.  

En faisant la somme des mesures dites pragmatiques, on peut quand même déterminer l'orientation d'un parti. La CAQ refuse ce calcul. En évitant les étiquettes, elle évite le dogmatisme, se vante son chef. Il s'agit plutôt d'un flou artistique truffé d'«on verra», raillent ses critiques. Jean-Herman Guay croit pour sa part que le chef de la CAQ entretient la même ambiguïté face à l'État que les Québécois. Et cela expliquerait en partie sa popularité.

Les Québécois restent attachés à l'État et à la sécurité qu'il procure. Mais ils sont quatre sur cinq à le trouver trop lourd et à penser que les finances publiques sont mal gérées», résume-t-il, en se référant à un article cosigné avec son collègue Luc Godbout en novembre dans Options politiques.

Les premiers ministres Bourassa et Charest ont essayé sans trop de succès de réduire la taille de l'État, poursuit le professeur. Legault veut plutôt le réviser de l'intérieur en ajoutant de la compétitivité et de l'imputabilité. Il a compris notre rapport paradoxal à l'État.»

Selon un récent sondage CROP-La Presse, 20% des électeurs croient que la CAQ est à gauche et 27%, à droite. Les autres ignorent que penser. Mais c'est la CAQ qui domine dans les intentions de vote.