Dès son arrivée à la tête des libéraux, au printemps 1998, Jean Charest savait que Lucien Bouchard ne tarderait pas à déclencher des élections. «Il ne me donnera pas le temps de me préparer», avait prédit le nouveau libéral.

Avec une bien fragile embellie dans les sondages, M. Bouchard a vite appuyé sur le bouton et déclenché à l'automne des élections qu'il allait facilement remporter. La «nouveauté» de l'adversaire venu d'Ottawa n'avait pas duré. Il faut dire que le gouvernement péquiste en était à un premier mandat -Lucien Bouchard n'était premier ministre que depuis deux ans.

Jean Charest aimerait bien offrir le même traitement à François Legault: déclencher une campagne électorale avant que l'ancien ministre péquiste ait pu roder son organisation. Sans coffre de guerre, sans candidats connus, la Coalition avenir Québec subirait un test éprouvant. Mais les résultats du 2 mai - le Nouveau Parti démocratique n'avait pas davantage d'organisation au Québec - doivent inspirer une bonne dose de crainte au chef libéral. «L'appétit de changement» est énorme.

Multiplier les annonces

Dans les prochains mois, il faut s'attendre à ce que Jean Charest appuie sur l'accélérateur avec insistance - dans les officines, on a remarqué qu'il reprendra le travail très tôt en janvier, avec une tournée de trois jours dans le nord du Québec. Dans les ministères économiques, on met les bouchées doubles pour multiplier les annonces. Le moteur va tourner à plein régime, mais il est loin d'être acquis qu'il pourra embrayer, se lancer en campagne. «Il faudrait voir l'aiguille bouger dans les sondages», chuchotent des libéraux. Or, le nombre des insatisfaits dans les enquêtes d'opinion reste à des sommets historiques.

Cet automne, Jean Charest a tenté de faire monter la mayonnaise, en multipliant les collisions avec Ottawa. Sur le poids du Québec aux Communes, sur l'unilinguisme des juges de la Cour suprême, sur la fin du registre des armes à feu, mais surtout sur le projet C-10, qui comprend des mesures plus musclées contre le crime. Jean-Marc Fournier a été délégué à Ottawa. Québec n'aurait pu choisir de meilleur ambassadeur auprès de Stephen Harper, M. Fournier étant un ex-candidat de Jean Chrétien et de Paul Martin.

Laborieux lancement

Le lancement de la commission Charbonneau a été si laborieux, si improvisé, que le gouvernement n'a pas gagné un point avec cette opération. La session parlementaire s'est terminée sur un rapport dévastateur du vérificateur général au sujet de l'attribution des permis de garderie, en 2008, par la ministre Michelle Courchesne. Charest ne pourra prendre Legault de vitesse. Il devra faire le pari que le lustre du nouveau chef s'usera au fur et à mesure qu'il aura, quotidiennement, à faire des choix et adopter des positions sur des questions délicates.

Dans les cabinets politiques libéraux, on a les yeux ailleurs - sur la liste des nominations. Plusieurs sont déçus parce que la nouvelle Société du Plan Nord n'a pu être créée avant Noël - l'adoption du projet de loi est retardée de plusieurs semaines. Même dans l'entourage immédiat du premier ministre, on spécule sur ses chances d'atterrir aux postes, bien payés, de dirigeant de société d'État. Ceux qui resteront trop longtemps risquent d'être entraînés dans le courant - incapables de partir à quelques mois d'une campagne électorale. Certains prévoient que Jean Charest voudra absolument déclencher les élections avant que la commission Charbonneau n'entame ses audiences publiques - en fait, on s'attend à ce que les audiences, avant l'été, se résument à des discussions bien générales entre experts.

Pauline Marois

L'avenir de Pauline Marois est une autre inconnue, déterminante, au tableau de bord de Jean Charest. Le chef libéral a pu penser qu'il pourrait se faufiler entre la Coalition avenir Québec et le Parti québécois. L'effondrement des appuis à Mme Marois laisse plutôt prévoir une victoire facile de François Legault.

Depuis un mois, le calme semble revenu au sein du caucus péquiste. En apparence - car il faut s'attendre à ce que des associations de circonscription reviennent à la charge et réclament le départ de Mme Marois en janvier. Les députés, inquiets, observent les sondages, conscients que leur parti risque d'être éradiqué aux prochaines élections.

Gilles Duceppe reste sur la touche. Il a été bien surpris d'entendre Mme Marois dire qu'ils «se parlaient presque tous les jours» à Tout le monde en parle. Officiellement, le seul couteau qu'il ait touché, c'est celui de la partie d'huîtres de Mme Marois à L'Île-Bizard - une présence qu'il s'est imposée pour faire taire les rumeurs voulant qu'il n'ait pas récupéré après la raclée subie en mai.

Avec Duceppe aux commandes, le PQ revient dans la course, plaident ses supporteurs - les sondages laissent entrevoir une course serrée dans ce cas. L'engouement pour l'ancien bloquiste durerait-il? Depuis mai, les électeurs ont peut-être le sentiment de lui devoir quelque chose, risque-t-on. Mais ces électeurs assoiffés de changement pourraient vite reconnaître un politicien qui roule sa bosse depuis près de 20 ans, dans un parti encore plus vieux. Déjà, des députés péquistes craignent son autoritarisme et penchent plutôt pour une course à la succession.

Si Mme Marois annonçait son départ... tout à coup, la fenêtre se refermerait, pendant plusieurs mois, pour Jean Charest.