Une campagne étrange se déroule dans Bonaventure en vue du scrutin du 5 décembre. S'y opposent: un ex-péquiste devenu libéral, un ex-libéral et ex-caquiste devenu adéquiste, une solidaire qui travaille pour le NPD et un péquiste qui place la souveraineté au sommet de la pyramide de Maslow. Aperçu sur le terrain.

Derrière le comptoir rose comme sa blouse, la propriétaire de Claudette Friperie, à Paspébiac, sourit pour cacher son amertume. «Ça ne pourrait pas être pire dans Bonaventure», lance-t-elle.

Bien sûr que ça pourrait être pire. Ça peut toujours l'être. Le taux de chômage pour la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine est à 13%. C'est le taux le plus élevé au Québec, près du double de la moyenne. Mais cela reste une nette amélioration par rapport aux 18% observés dans les dernières années. Et l'exode urbain s'est inversé l'année dernière, de très peu (solde migratoire de 21 personnes dans Bonaventure).

Cela ne console pas Claudette Bérubé. Elle travaille six jours par semaine derrière le comptoir de sa friperie, où les vestons coûtent entre 10$ et 20$. L'âge de la retraite approche et elle n'a pas les moyens de se payer une employée. Mais elle connaît très bien le salaire que Jean Charest touchait du PLQ et la rente de départ de Nathalie Normandeau, députée et vice-première qui a démissionné en août.

La crise financière, le scandale de Norbourg, la nouvelle taxe santé, la collusion et la corruption sur les chantiers, tout cela revient à la même chose pour elle: le «monde ordinaire» qui se fait saigner à blanc. «Et ton article n'y changera rien», lance-t-elle, sur un ton presque compatissant.

Un péquiste devenu libéral

Malgré ce goût de changement, c'est un visage familier qui mène, Damien Arsenault. Formé en mécanique diesel, ex-chauffeur d'autobus d'écoliers qui possédait sa petite entreprise, il est maire de Saint-Elzéar depuis 17 ans. «Je ne suis pas un vieux militant libéral», avoue-t-il candidement.

Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il était membre du PQ dans les années 90. Mais le sujet n'est pas sorti dans le premier débat de la campagne, qui vient de se terminer au cégep de Gaspésie et des Îles, à Carleton. M. Arsenault en est sorti sans égratignures. Affable, il est resté en zone neutre pendant que ses adversaires s'invectivaient comme ils le pouvaient. Il ressemblait à un éteignoir.

Son principal rival est le péquiste Sylvain Roy, un prof de sociologie au cégep. Il utilise beaucoup de mots, des gros mots. Dans un segment du débat sur le tourisme, il déclarera: «je dis à mes étudiants qu'on se postmodernise, mais j'expliquerai ça une autre fois ».

Il propose une forme particulièrement poussée de l'étapisme. La souveraineté constitue l'ultime étage de la pyramide de Maslow, explique-t-il au débat.

Le «soi collectif»

En début de soirée dans son local de circonscription de Carleton, il développe l'idée. «La souveraineté, c'est l'actualisation du soi collectif», philosophe-t-il. Les Québécois doivent d'abord retrouver confiance en eux et redresser les systèmes d'éducation et de santé.

Parle-t-il de souveraineté à ses électeurs? «Quand je vois que ça les intéresse, je leur en parle», répond-il.

Il est environ 18h et la salle est vide, à part un bénévole qui fait du pointage. « On a aussi un autre local », assure-t-il. Il nous conduit vers une autre pièce où sont assis trois autres militants. Son attachée rappelle que la moitié des chaises étaient vides la semaine dernière pour une allocution de Jean Charest.

M. Roy parle peu de création de richesse. Il se préoccupe surtout de sa redistribution. «Oui, c'est possible que je sois plus à gauche que mon parti. Un parti, c'est une coalition», justifie-t-il.

Damien Arsenault pourrait dire la même chose. Le maire a présidé l'Agence régionale des forêts privées et le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ce comité a recommandé au gouvernement d'instaurer un revenu minimal garanti de 80% de 14 000$ - soit le strict minimum pour être logé, nourri, vêtu et soigné. Le gouvernement l'a accueilli froidement. Cette hausse diminuerait le taux d'emploi et coûterait 2,3 milliards $ à l'État, a rappelé la ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Julie Boulet.

«Quand il est venu me voir récemment, il m'a demandé de ne pas trop faire de vagues avec ça durant la campagne», raconte Jacinthe Leblanc, porte-parole du Collectif gaspésien pour un Québec sans pauvreté.

Le candidat libéral préfère parler de son plan Bonaventure. Il engagerait un démarcheur pour aider les entreprises et travailleurs de la région à profiter des contrats du Plan Nord.

Le PQ fait plutôt campagne sur l'éthique. M. Roy dénonce le monopole de l'asphalte dans la région. Une seule entreprise, Pavage Beau Bassin, soumissionne en Gaspésie. M. Arsenault promet d'aider les maires à obtenir un juste prix. Mais il ne semble pas avoir suivi tous les débats sur l'éthique. S'est-il déjà fait proposer des élections clé en main à la mairie de Saint-Elzéar? «Des quoi?», demande-t-il. Il n'a jamais entendu parler de cette pratique.

Naviguer avec son GBS

Tout l'espace à droite du centre est occupé par l'adéquiste Georges Painchaud. Ex-président de la Fraternité des policiers et policières de la Communauté urbaine de Montréal, il a été candidat libéral en 2008. Le printemps dernier, il a quitté le PLQ pour militer à la CAQ. Mais comme le mouvement tardait à se transformer en parti, il a cogné à la porte de l'ADQ.

C'est le seul candidat qui ne vient pas de la région. Il navigue en politique avec son GBS - le gros bon sens. «Je ne peux pas croire qu'on est allés sur la Lune, mais qu'on est incapables d'extraire du pétrole sécuritairement», tranche-t-il. Il encourage donc les forages dans le golfe du Saint-Laurent et le projet de Gastem à Ristigouche.

Sa proposition maîtresse: inciter les retraités à s'installer dans Bonaventure. «C'est le plus bel endroit du Québec. Il y a la mer! Les montagnes! Les rivières à saumon!», s'emballe-t-il.

La conversation dure depuis une heure, les piles de notre enregistreuse sont mortes, mais il continue de parler une dizaine de minutes. «Le 21e siècle sera un siècle spirituel», déclare ce lecteur inspiré par Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle. Il propose d'aménager des sentiers pour pèlerins.  «Comme à Saint-Jacques-de-Compostelle», lance-t-il.

La retraite dans Bonaventure

La Gaspésie devient gris verdâtre en novembre. Les touristes ont disparu. On ne croise que des promeneurs solitaires le long de la route 132. «Pour les gens, parfois, c'est un peu tranquille», remarque Diane Lavallée, attablée dans un café de New Richmond.

Aux dernières élections, cette retraitée a donné sa chance à un autre parti. «J'ai voté ADQ», dit-elle.

N'est-ce pas plutôt le NPD? «Oui, c'est ça, pour le monsieur qui est mort».

Le candidat adéquiste et ex-caquiste courtise ces électeurs. «Voter  autrement», lit-on sur le 4x4 qui lui sert de véhicule de campagne.

Autrement. Le changement. C'est ce que tout le monde propose. Même Damien Arsenault, qui offre le changement dans la continuité.