Femme battue à coups de botte à cap d'acier. Entrepreneurs intimidés sur leurs propres chantiers un peu partout au Québec. Et une ministre menacée de se «faire casser les jambes».

Tout le monde n'a pas souhaité participer au débat démocratique, lundi, alors que commençait la commission parlementaire sur le projet de loi 33, qui interdira le placement syndical sur les chantiers.

Une travailleuse de la FTQ-Construction qui devait témoigner à l'Assemblée nationale a été agressée, il y a une dizaine de jours, sur un chantier de la Côte-Nord. Elle était apparemment à l'hôpital dimanche. «Elle a eu des muscles écrasés à coups de botte de cap d'acier, parce que le gars n'était pas content de ce qu'elle avait demandé et de ce qu'elle avait dit», avance devant la commission Sylvie Déraspe, porte-parole du Comité pour la défense des droits des femmes dans la construction.

Ironiquement, la victime voulait se rendre à Québec pour se plaindre d'intimidation. Mme Déraspe n'a pas spécifié s'il y avait un lien entre les deux événements.

La victime a déposé une plainte à la Sûreté du Québec (SQ), a affirmé Mme Déraspe. La SQ ne pouvait pas le confirmer lundi soir.

La FTQ-Construction dit avoir pris connaissance de l'agression survenue sur un de ses chantiers. L'agresseur ne serait pas un «officier syndical», dit Jean Laverdière, porte-parole du syndicat. Il ajoute que «l'altercation n'aurait rien à voir avec les histoires de la construction». Le syndicat a déclenché une enquête pour vérifier si l'agresseur était un de ses travailleurs. «Notre président trouve la violence inacceptable, il la dénonce haut et fort», assure M. Laverdière.

D'autres femmes auraient été attaquées sur le chantier de La Romaine d'Hydro-Québec, sur la Côte-Nord, a raconté Mme Déraspe. «Il y a trois femmes qui viennent de sortir en ambulance pour l'hôpital de Havre-Saint-Pierre.»

«Rien n'a été rapporté au sujet d'une ambulance qui aurait quitté nos chantiers», indique Marie-Élaine Deveault, porte-parole d'Hydro-Québec.

Mme Déraspe a rapporté aussi qu'un syndicat aurait déjà intercepté la conversation cellulaire d'une travailleuse qui voulait se plaindre.

Le Québec affiche la plus faible proportion de femmes sur les chantiers - seulement 1%, comparativement à plus de 3% pour la moyenne canadienne, et 6% en Alberta. Mme Déraspe a rappelé que l'intimidation et la violence touchaient aussi les hommes.

Elle jouissait de l'immunité parlementaire durant son témoignage, mais n'en bénéficiant plus en dehors de la commission, elle a refusé de répondre aux questions des médias.

«Nous, on est les gentils...»

Des entrepreneurs menacés se sont plaints lundi à la ministre du Travail, Lise Thériault. «Un entrepreneur nous a envoyé un message en disant: «J'ai eu la visite de deux gars avec des lunettes fumées et une casquette. Ils disaient: nous, on est les gentils. On vient te dire gentiment de fermer ton chantier. Si tu ne le fermes pas, il y aura une deuxième visite...»», lance-t-elle.

«Si on fait ça alors qu'on parle du projet de loi, imaginez la balance du temps, quand les médias ne sont pas sur les chantiers», ajoute-t-elle.

La ministre elle-même a été menacée. Un homme qui ne s'est pas nommé a laissé un message sur la boîte vocale de son cabinet, en fin de semaine dernière. Il a dit: «On va te casser les jambes.» Il a aussi fait allusion au projet de loi 33. Deux gardes du corps escortent désormais la ministre, un de plus qu'à l'habitude. Ni la FTQ-Construction ni le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) (CPQMC-I), deux grands opposants au projet de loi 33, ne l'ont appelée pour se dissocier de ces menaces.

Ces deux syndicats prétendent que les perturbations de lundi sur les chantiers résultent d'une action spontanée. «Je ne peux pas croire que, spontanément, les travailleurs vont louer des autobus pour débarquer sur des chantiers et faire sortir les gens», a réagi la ministre.

Comme elle, la présidente de la Commission de la construction du Québec (CCQ), Diane Lemieux, demande aux travailleurs de retourner au travail. «Quand on a une rivière à traverser, la pire chose à faire, c'est de brûler le pont», a-t-elle imagé.

Les syndicats qui bloquent ou perturbent les chantiers sont passibles d'amendes qui peuvent s'élever à 75 000$ par jour.

La ministre n'est pas en mesure d'estimer les pertes quotidiennes. L'industrie de la construction représente 14% du produit intérieur brut (PIB) du Québec.

Mme Thériault écarte pour l'instant le recours à une loi spéciale. Elle se dit ouverte à des concessions, mais pas sur le placement syndical.