Il y a six mois, Jean Charest avait l'air d'un chef condamné. À la fin de la session, en décembre, malmené par les journalistes, il a reconnu que l'année avait été fort éprouvante. Son gouvernement était mal en point -deux ministres avaient dû démissionner- alors que des allégations de favoritisme planaient au dessus de leur tête.

À l'Assemblée nationale, les libéraux avaient peine à se dépêtrer des allégations faites à la commission Bastarache sur la nomination des juges. On nageait dans les accusations de favoritisme dans l'attribution des permis de garderie. L'opposition associait sans hésiter les libéraux à la mafia et Jean Charest au «parrain» pendant que s'ajoutaient les noms à la pétition électronique qui réclamaient sa démission.

Il y a huit semaines, Pauline Marois régnait sans partage sur son parti. Avec 93% d'appui au vote de confiance, au congrès de la mi-avril, elle semblait avoir coupé court définitivement aux sempiternelles querelles intestines du PQ. Depuis des semaines, chez les péquistes, on brandissait la preuve indubitable de l'unité retrouvée: les députés étaient unanimes derrière la chef péquiste.

L'étonnant réalignement des planètes, six mois plus tard, devrait imposer une bonne dose d'humilité à l'industrie, pourtant florissante, du commentaire politique. Elle était déjà mal en point ce printemps -personne, avant les sondeurs, n'avait vu la fulgurante montée du NPD dans la campagne fédérale.

Hier, dans son bilan de fin de session parlementaire, c'est Mme Marois qui s'est avouée «inquiète». Elle craint que la semaine de tourmente qu'a traversée son parti n'évacue de la mémoire collective les mois d'attaques incessantes sur l'intégrité du gouvernement Charest.

En sursis il y a six mois, Jean Charest, aujourd'hui, plane littéralement. Le budget est passé sans encombre, sans mobilisation des étudiants, qui voient pourtant les droits de scolarité grimper rapidement. Les minières l'invitent à leurs annonces d'investissements, qu'il récupère méthodiquement comme autant de retombées de son Plan Nord. Aussi, dans son bilan d'hier, M. Charest a-t-il mis nettement plus de conviction quand il a promis d'être au prochain rendez-vous électoral.

Fin de régime

Bien sûr, les signes de fin de régime sont là, indubitables. Gérard Bibeau, le premier fonctionnaire, quittera bientôt son poste de secrétaire général du gouvernement. Olivier Marcil, un des responsables de la stratégie électorale de 2008, quitte aussi les officines politiques pour des cieux plus tranquilles. Même éphémère, la remontée du PLQ dans les intentions de vote, après la crise de la fin de semaine, parvient à faire oublier aux libéraux un taux de satisfaction anémique.

Les politiciens savent que leurs derniers gestes avant les ajournements de session pèsent lourd dans l'opinion publique. Autour du barbecue, cet été, les électeurs pourront se rappeler à satiété les démissions percutantes de Louise Beaudoin, Pierre Curzi, Lisette Lapointe et Jean-Martin Aussant. Une fois le sujet épuisé, ils pourront passer à l'opération ratée du PQ pour faire adopter un projet de loi privé destiné à donner le feu vert à la construction d'un amphithéâtre à Québec. Hier, Jean Charest, goguenard, s'est moqué de la chef de l'opposition, la première de l'histoire à réclamer que le gouvernement recoure au bâillon!

Mme Marois avait tenu à ce que tous ses députés soient derrière elle en signe de ralliement, hier. À ses côtés, les plus jeunes élus, même Mathieu Traversy, député de Terrebonne, qu'elle avait tenté de faire battre à l'investiture. Seul absent, Stéphane Bédard, retenu par des obligations familiales, n'a par conséquent pas eu à défendre la stratégie péquiste sur le projet de loi 204.

Apparence de conflit d'intérêt

Chez les péquistes, des députés s'interrogent; comment expliquer qu'on ait eu recours à l'évaluation du leader parlementaire Stéphane Bédard sur cette entente entre la Ville de Québec et Quebecor? Il aura été au coeur de cette stratégie, très risquée, du projet de loi privé. Or, le député de Chicoutimi est le frère d'Éric Bédard, avocat influent dans l'orbite de Pierre Karl Péladeau.

Un peu de prudence s'impose pour un parti qui attaque souvent sur des apparences de conflit d'intérêts et qui, sous le couvert de l'immunité parlementaire, lance quotidiennement en pâture des noms d'entrepreneurs sitôt qu'ils ont une consonance italienne.

Cet été, personne ne parlera d'élections hâtives. La garde rapprochée de Pauline Marois a alimenté les rumeurs dans les derniers jours, et des analystes y avaient fait écho. Mais Jean Charest a fait voler ce scénario en éclats hier. Les apparatchiks péquistes ne pourront plaider l'urgence d'un ralliement avant la bataille pour reconstituer l'unité derrière Pauline Marois.

Mme Marois aura tout l'été pour évaluer les dommages causés par le départ des quatre députés. Chacun pour des raisons différentes, ils représentaient un courant au PQ dont a cruellement besoin Mme Marois. Jonathan Valois, ancien président du PQ, aura beau soutenir qu'il s'agit de «gros ego», que Pierre Curzi, par exemple, avait maintes fois menacé de claquer la porte, ces défections jettent une lumière crue sur la vulnérabilité de la chef péquiste.

Louise Beaudoin, revenue un peu par hasard, trouve bien longues les deux années qui la séparent encore de la fin de son mandat. Il n'y a jamais eu d'amour perdu entre elle et la chef péquiste: Mme Marois, comme ministre régionale, avait forcé la fusion de Saint-Bruno à Longueuil et voué du même coup Mme Beaudoin à la défaite dans Chambly en 2003. Il faut dire que, en 2001, bien qu'amie de longue date de Mme Marois, elle avait -étrangement, alors qu'elle se trouvait en France-, donné son appui à Bernard Landry dans une entrevue au quotidien Le Monde.

Pierre Curzi passait souvent pour une tête brûlée; sa fatwa envers Sir Paul McCarney, trop british à son goût, lors du 400e anniversaire de Québec, avait fait sourciller. Le présumé complot du Canadien de Montréal contre les joueurs francophones avait renforcé cette impression. Mais l'ex-comédien restait tout de même une icône dans la députation péquiste et pour les jeunes militants attachés aux questions identitaires.

Pire encore, le départ de Lisette Lapointe, qui pourrait bien démissionner avant la fin de son mandat. Par-delà la députée de Crémazie, c'est tout l'ascendant de Jacques Parizeau, le fiduciaire de l'option indépendantiste, qui coupe les liens avec la chef péquiste. La présence à Québec de l'ancien premier ministre, bien conscient de son effet, était une claire mise en garde à son ancienne attachée de presse -la première fonction qu'a occupée Mme Marois en politique.

Le départ du député de Nicolet, Jean-Martin Aussant, le plus vindicatif, le seul à réclamer la démission de Mme Marois, est un autre coup très dur. Il incarnait la relève souverainiste. Sans lui, l'entourage de la chef péquiste aurait plus facilement réduit à la perte d'une vieille garde grognonne la saignée de cette semaine.

Québec solidaire

Par leur seule présence, jour après jour, ces dissidents rappelleront que Mme Marois n'est pas parvenue à unir son parti. L'autre avenue, leur démission à titre de députés, aurait pu être pire: le PQ, en crise, risquerait de perdre ces circonscriptions. Dans une élection complémentaire, Crémazie pourrait redevenir libérale et, surtout, Rosemont risque de passer à Québec solidaire.

Amir Khadir, hier, a dû se défendre de s'être «éparpillé» dans bien des dossiers au cours des derniers mois. À lui seul, il a bloqué le projet d'amphithéâtre -qui, dans les coulisses, avait pourtant de nombreux adversaires, tant chez les libéraux que chez les péquistes.

«Je suis seul. Si nous étions 10, j'en ferais moins.» S'il continue à ce rythme, il aura bientôt des camarades.