Jouant de prudence, le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, a reporté à plus tard sa décision sur le très controversé projet de loi 19 portant sur la réforme de la carte électorale.

Pour M. Chagnon, il s'agit de la première crise parlementaire à laquelle il est confronté depuis qu'il a accédé à la présidence, le 5 avril dernier.

Mardi, au terme d'un débat, il a dit qu'il avait besoin de plus de temps pour trancher la question et tenter de rallier les parlementaires des deux côtés de la Chambre, ce qui ne s'annonce pas une mince tâche.

Il a cependant promis une position «avec une certaine épine dorsale».

Fait inusité, jeudi dernier, tous les partis d'opposition s'étaient ligués contre le gouvernement pour l'empêcher de déposer le projet de loi 19, sous prétexte que la façon de faire du leader, Jean-Marc Fournier, ne respectait pas la tradition voulant que les élus doivent être consultés au préalable quand il s'agit de la carte électorale, ce qui n'a pas été le cas.

Unanimes, les parlementaires de l'opposition ne voulaient même pas, dans ce contexte, débattre du projet de loi et de son contenu. Ils ont donc demandé au président d'intervenir et de sanctionner le gouvernement.

M. Chagnon a dit que la question serait tranchée ce mardi, après avoir entendu les arguments des parties. Mais en fin de journée, il a souligné que les députés des deux côtés de la Chambre avaient fait valoir «des questions de principe importantes» et qu'il avait besoin d'«un certain temps» pour se prononcer.

Le gouvernement étant majoritaire, il avait quand même pu déposer son projet de loi dans la division, à 59 voix contre 53.

S'il était adopté, ce projet aurait pour effet de faire passer le nombre de députés de 125 à 128, sous prétexte de compenser le déclin démographique des régions en maintenant malgré tout leur poids politique, en infraction à la loi électorale actuelle.

Il protégerait temporairement, soit d'ici les prochaines élections générales, trois circonscriptions qui devaient disparaître (Lotbinière, Matane et Kamouraska-Témiscouata), faute d'électeurs en nombre suffisant pour respecter la loi, et créerait trois nouvelles circonscriptions, en périphérie de Montréal, là où la croissance démographique a été la plus forte.

Pendant ce temps, la Coalition pour le maintien des comtés en régions est revenue à la charge, mardi, pour demander une rencontre avec le premier ministre Jean Charest, dans l'espoir de dénouer l'impasse sur la réforme de la carte électorale, qui dure depuis des années.

En novembre dernier, à la demande de cette même coalition, à minuit moins une, M. Charest avait suspendu le processus d'entrée en vigueur de la nouvelle carte électorale, qui devait se traduire à compter de décembre par la perte de trois circonscriptions.

Selon l'opposition, le coup de force du gouvernement constitue un bris aux traditions parlementaires, en vertu desquelles la loi électorale ne peut être modifiée qu'avec l'assentiment de la Chambre, après avoir obtenu un consensus.

Quant à lui, le député de Québec solidaire, Amir Khadir, était allé plus loin, jeudi dernier, en estimant qu'il s'agissait d'un outrage au Parlement.

Mardi, M. Khadir s'est présenté devant M. Chagnon en brandissant cinq questions, portant notamment sur la définition acceptable du mot «consensus» dans le contexte parlementaire, où Québec solidaire n'a qu'un siège.

«Est-il acceptable, dans une démocratie, que les deux grands partis qui s'échangent le pouvoir depuis des années puissent s'entendre et mettre les mains dans la délimitation des circonscriptions de la carte électorale, et ce, sans l'accord des tiers partis?», a-t-il demandé.

De son côté, le leader parlementaire péquiste, Stéphane Bédard, a dit au président que ces questions devaient être abordées avec la plus grande prudence. Il a reproché une fois de plus au gouvernement de ne pas avoir été consulté sur le projet de loi 19.

«Le gouvernement dépasse la limite acceptable», selon lui.