Il n'y a jamais eu «d'enquête» sur l'ancien directeur de la police de Montréal, Yvan Delorme, a soutenu hier le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil. Au moment de son renouvellement de mandat, en 2010, le Ministère a procédé à une «vérification de sécurité», une opération de routine pour la Sûreté du Québec. Seule particularité, parce qu'il y avait eu des rumeurs sur ses liens avec des entrepreneurs italiens peu recommandables, la SQ a demandé des informations à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

La vérification, plus techniquement une «habilitation sécuritaire», s'est conclue sans noter de problème. Le mandat de M. Delorme a par conséquent été renouvelé pour cinq ans au printemps 2010, a expliqué, hier, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil.

Ce dernier répondait aux questions du député péquiste Stéphane Bergeron et de l'adéquiste Sylvie Roy, venus discuter des crédits du Ministère pour la dernière année.

L'ancien ministre Jacques Dupuis avait demandé «une habilitation sécuritaire», une vérification préalable à une nomination, une opération de routine - «la Sûreté du Québec en fait 72 000 par année», a soutenu le ministre Dutil. La vérification avait été demandée en décembre 2009, les réponses étaient arrivées en mars 2010, la SQ avait alors donné les conclusions au sous-ministre de la Sécurité publique. Le ministre Dupuis avait demandé à son sous-ministre de l'époque, Robert Lafrenière, de procéder à ces vérifications, ce dernier s'est tourné vers la SQ. C'est cette dernière, et non M. Lafrenière, qui a demandé l'aide de la GRC spécialisée dans les questions touchant à la mafia italienne. M. Delorme avait des liens, étonnants, avec Luigi Coretti, le patron de BCIA, l'agence de sécurité qui avait obtenu sans appel d'offres un mandat de surveillance pour les bureaux du SPVM.

«J'ai fait mon travail»

Richard Deschesnes, le directeur général de la SQ, a expliqué devant la commission qu'il avait rencontré le sous-ministre Robert Lafrenière, passé depuis à la direction de l'unité permanente contre la corruption, en décembre 2009. «J'ai fait mon travail, mis en place les ressources que je jugeais nécessaires et en mars 2010, j'ai avisé le ministère que je n'avais aucun élément qui me permettait de mettre en garde le ministre concernant ce renouvellement.»

«On parle de nomination à faire... il y a des vérifications qui doivent être faites, ce qui est tout à fait normal, a soutenu M. Dutil. Une enquête est une tout autre question», a-t-il martelé, en réponse à la députée Sylvie Roy.

«Je trouve préoccupant qu'on confie une vérification à la Gendarmerie royale, qu'on revienne en disant qu'il est blanc comme neige. Et quand le scandale de BCIA éclate, il prend sa retraite à 47 ans...» a souligné M. Bergeron. M. Delorme avait accordé des mandats sans contrat à BCIA et a même «récidivé» avec Sécur-Action, dont le propriétaire était en lien avec Tony Accurso.

Ces firmes ont des caméras de surveillance dans les édifices de police. «C'est grave: ils peuvent voir des témoins potentiels dans des opérations comme SharQc par exemple!» a poursuivi le député péquiste. Pour M. Dutil, Sécur-Action était responsable depuis longtemps de la surveillance de l'édifice de la SQ. Selon lui, c'est quand le propriétaire a changé que le gouvernement a agi.

Coïncidences étonnantes

Pour le député Bergeron, toute cette affaire comporte des coïncidences étonnantes. Outre le départ à la retraite de M. Delorme, 24 heures après que La Presse eut révélé les dessous de BCIA, quelques semaines après avoir accepté le renouvellement de son mandat, le ministre Tony Tomassi a lui aussi quitté son poste 72 heures plus tard - il avait accepté une carte de crédit, pour son essence, payée par BCIA. Quelques jours plus tard, La Presse a révélé que Jacques Dupuis était intervenu dans la demande de permis de port d'arme de M. Coretti - la SQ avait refusé sa requête dans un premier temps. Quelques semaines plus tard, M. Dupuis démissionnait. Encore lundi, le premier ministre Charest refusait de clarifier ce dossier, a souligné le député péquiste.

À la Ville de Montréal, rappelant qu'un mandat d'enquête avait été donné à l'Unité permanente anticorruption, le porte-parole du maire Tremblay, Darren Becker, a déclaré que, «compte tenu de l'enquête annoncée par le ministre de la Sécurité publique, nous nous abstiendrons de tout commentaire additionnel - ceci dit, la Ville collaborera pleinement avec les autorités de l'UPAC».

Simples vérifications

Hier matin, au cours d'entrevues avec Claude Poirier et Paul Arcand, l'ancien ministre Jacques Dupuis a aussi expliqué qu'il s'agissait de simples vérifications. Une seule fois, il a parlé d'enquête. «L'enquête a été transférée à la GRC parce qu'il s'agissait de possibles liens avec des gens peu recommandables de la communauté italienne et la GRC a une expertise là-dedans», a-t-il dit, un lapsus fera-t-il savoir par la suite à La Presse.

En commission parlementaire, Mme Roy a aussi relevé que les documents d'appui aux crédits montraient que trois mois après l'annonce de sa mise sur pied, l'Unité permanente anticorruption n'existait encore que sur papier. Le 31 mars dernier, elle ne comptait qu'un employé, Robert Lafrenière, l'ancien sous-ministre à la Sécurité publique. Selon Robert Dutil, il y aura bientôt sept procureurs, bon nombre d'organisations, du ministère du Revenu à la Commission de la construction, y enverront des effectifs pour atteindre 189 personnes. Pour l'heure, 90% des procureurs de la Couronne ont refusé de travailler à cette unité, a indiqué le député Bergeron.