L'anonymat d'employés du Parti libéral du Québec (PLQ) sur Twitter crée un malaise, selon les spécialistes que La Presse a interrogés. Un récent reportage de Radio-Canada démontre que trois employés du PLQ utilisent un pseudonyme (Falalalalaaaa, Acontrecourant et Cest_un_fait) sur Twitter pour appuyer le gouvernement Charest et critiquer l'opposition. Le plus populaire de ces trois comptes est suivi par 307 personnes.

«Ça crée un problème moral, un problème de transparence», croit Frédéric Bastien, du Groupe de recherche en communication politique (GRCP) de l'Université Laval.

Le directeur des communications du PLQ, Michel Rochette, assure qu'aucune directive n'a été donnée aux employés. «Ils s'exprimaient librement, hors de leur travail. C'était leur choix personnel», indique-t-il. Il ne condamne donc pas cette pratique.

Si un individu est employé par le PLQ, cela ne rend pas ses convictions moins sincères ou pertinentes, rappelle M. Bastien. «Ces employés peuvent évidemment s'exprimer, mais ils devraient le faire sous leur vrai nom, en indiquant leur lien d'emploi. Car cet emploi influence ce qu'ils peuvent ou doivent dire, même lorsqu'ils quittent le bureau.»

Et s'il s'agissait de simples militants qui choisissent l'anonymat? «Il n'y aurait pas de quoi écrire à sa mère», répond M. Bastien.

N'empêche que l'anonymat devrait toujours être justifié, croit Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. «C'est seulement pertinent pour protéger son intégrité physique, ou pour se protéger de représailles quand on dévoile une information d'intérêt public», soutient-il.

M. Trudel estime que l'anonymat nuit à la crédibilité des propos. Il ajoute que Cyberpresse et d'autres grands médias commencent à demander aux internautes de s'identifier avant de publier un commentaire.

Thierry Giasson, chercheur principal au GRCP de l'Université Laval, critique aussi les pseudonymes libéraux. «Il y a un problème moral. Et franchement, c'est un peu pathétique d'utiliser un pseudonyme pour attaquer ses rivaux ou encenser son chef. Pourquoi se cachent-ils?»

Le chercheur répond à sa question. «Le pseudonyme, c'est une stratégie pour tromper les lecteurs. On montre qu'un citoyen ordinaire approuve les décisions du gouvernement. C'est plus fort que de dire qu'un employé approuve son patron.»

M. Rochette accuse le PQ de s'attaquer aux individus au lieu de parler d'idées. «Au PQ, on a une directive pour l'internet. Les employés doivent dévoiler leur nom et leur lien d'emploi», a répondu le président du parti, Jonathan Valois.

Tempête dans un verre d'eau?

Même s'il critique la moralité des pseudonymes, Thierry Giasson n'est pas choqué par cette affaire.

«C'est une tempête dans un verre d'eau», lance-t-il. Moins de 10% des Québécois utilisent Twitter. Et une minorité d'entre eux consultent assidûment le fil de l'Assemblée nationale (mot-clé: #AssNat), où étaient publiés les messages des trois employés du PLQ.

«Ce sont surtout des journalistes, des membres des partis et des mordus de politique qui lisent ces messages, rappelle M. Giasson. L'impact est très limité.» Il ajoute que les stratégies partisanes existaient avant Twitter, et que les lecteurs du fil de l'Assemblée sont assez aguerris pour les détecter.

Twitter facilite néanmoins l'utilisation de pseudonymes, rappelle Pierre Trudel. «Avec le courrier des lecteurs et les tribunes téléphoniques, on sélectionne qui sera publié ou entendu en ondes. Ça n'existe pas sur Twitter.» Les internautes doivent simplement exercer leur sens critique, conclut-il. «Sur Twitter, chacun doit choisir qui il suit, et à qui il accorde de la crédibilité.»