Les procureurs et les juristes de l'État ont vivement protesté, dimanche, contre la volonté du gouvernement d'avoir recours à une loi spéciale aujourd'hui pour forcer leur retour au travail. Le premier ministre, Jean Charest, a pour sa part défendu la décision de son gouvernement.

«Je regrette qu'on soit obligé d'en arriver à une loi spéciale, mais la conséquence de l'absence des procureurs pèse très lourd sur le système judiciaire», a soutenu Jean Charest en marge d'un colloque à Trois-Rivières.

L'Assemblée nationale tiendra une séance extraordinaire ce matin pour adopter une loi spéciale qui forcera le retour au travail des 450 procureurs de la Couronne et des 1000 juristes de l'État.

Cette décision est tombée à l'issue d'une rencontre du Conseil des ministres tenue samedi après-midi. Elle fait suite à la rupture des négociations samedi entre Québec et ses procureurs, qui sont en grève depuis le 8 février.

Les procureurs sont «consternés» par la décision du gouvernement, a dit dimanche le président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCQ), Christian Leblanc. Celui-ci affirme que plusieurs de ses membres lui ont signalé leur intention de démissionner si le gouvernement les force à retourner travailler.

Selon M. Leblanc, le gouvernement cherche à punir les procureurs pour avoir pris position en faveur de la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, il y a quelques mois. «On s'attendait à des représailles, mais là, c'est la guillotine», a-t-il lancé lors d'une conférence de presse à Montréal.

Christian Leblanc juge que l'adoption d'une telle loi serait «inconstitutionnelle», «immorale», «irresponsable» et «digne de l'époque de Duplessis». Il a rappelé qu'il s'agirait de la deuxième loi à être adoptée en cinq ans pour imposer des conditions de travail aux procureurs.

M. Leblanc a accusé le gouvernement d'avoir annoncé une séance intensive de négociations, qui n'aura duré que 20 minutes, selon lui, simplement pour détourner l'attention médiatique. «Les procureurs de la Couronne, on a un certain pif pour la bullshit, et je pense qu'on en a eu notre lot cette semaine», a-t-il dit, applaudi par les quelque 200 procureurs venus assister à la conférence de presse.

L'Association des juristes de l'État a annoncé son intention d'entreprendre des recours judiciaires pour contester l'application de la loi. «C'est une négation presque totale de notre droit de nous associer et de notre droit de grève», a déploré son porte-parole, Éric Dufour.

Le spectre d'une loi spéciale inquiète aussi les procureurs en chef et les procureurs en chef adjoints, selon un cadre qui s'est confié à La Presse. «Nos meilleurs éléments vont nous quitter, a averti cette personne, qui a requis l'anonymat. On craint pour la pérennité, voire la survie de notre organisation.»

Selon ce cadre, les procureurs en chef ont voulu offrir publiquement leur soutien aux syndiqués la semaine dernière, mais la direction leur aurait formellement interdit de le faire.

Le gouvernement se défend

La présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, s'est défendue d'avoir négocié de mauvaise foi ou encore d'avoir voulu punir les procureurs. «Je constate que le ton qui a été employé ce matin a été le ton que nous avons retrouvé durant toutes les négociations», a-t-elle dit à La Presse.

Mme Courchesne a soutenu que le gouvernement doit «prendre ses responsabilités» pour que les citoyens «retrouvent un système de justice fonctionnel».

Elle a répété que les demandes des procureurs étaient trop imposantes pour respecter la capacité de payer des citoyens. Les procureurs veulent un rattrapage salarial de 40% tandis que le gouvernement offrait des hausses salariales de 22% en 5 ans.

Comme elle le martèle depuis le début de la grève, Michelle Courchesne a répété qu'elle ne peut accéder à la demande des procureurs par «souci d'équité» envers les 475 000 fonctionnaires de l'État, qui se sont entendus avec le gouvernement l'été dernier.

«Si on a été capable de régler avec tous ces gens-là, pourquoi les procureurs ne peuvent-ils pas régler avec nous?» a pour sa part demandé Jean Charest.