Le mandat du gouvernement n'est même pas encore à mi-parcours, a rappelé le premier ministre cette semaine. N'empêche, pour tenter de calmer la morosité croissante parmi ses troupes, Jean Charest a été forcé de céder à des députés inquiets.

Jean Charest a fait cette semaine quelque chose qu'il ne se résout pas souvent à faire: céder.

En août dernier, au précédent remaniement ministériel, M. Charest avait fait au téléphone le tour des députés déçus. La parité hommes-femmes, la trop grande concentration de ministres dans la grande région de Montréal, en particulier à l'ouest de Saint-Laurent, avaient pesé lourd dans la balance, a-t-il expliqué. Aussi, il était résolu à restreindre autant que possible le nombre de ministres au Conseil.

Six mois plus tard, aucun de ces arguments ne tient. Il fallait bien sûr remplacer un ministre-orchestre - le regretté Claude Béchard. Mais les circonscriptions de Geoffrey Kelley et d'Alain Paquet sont toujours voisines des fiefs de ministres importants.

Et il y a deux limousines de plus pour des hommes - la nouvelle whip, Lucie Charlebois, n'est pas membre du gouvernement, bien qu'elle «assiste» aux réunions du Conseil des ministres.

Que s'est-il passé en six mois? L'inquiétude, la morosité sont les seules choses qui montent, depuis quelques semaines, au gouvernement libéral. Jean Charest a dû jeter du lest.

La communauté anglophone était amère depuis la mise au rancart de Geoffrey Kelley - les nominations de Kathleen Weil ou de Yolande James n'étaient pas parvenues à faire oublier le respecté député de Jacques-Cartier.

Alain Paquet restait mystérieux sur sa volonté de terminer son mandat, et une complémentaire dans Laval était bien la dernière chose dont avait besoin M. Charest après la perte de Kamouraska-Témiscouata.

Laurent Lessard était déterminé à ce qu'on le déleste de l'Agriculture, et Nathalie Normandeau laisse tomber avec soulagement les Relations intergouvernementales - fatiguée, elle a déjà plus que sa part de problèmes avec les Ressources naturelles.

Jean Charest a déjà perdu souvent sa mise depuis sa réélection, il y a deux ans. Comme bien des joueurs, il est à battre résolument les cartes dans l'espoir que la fortune lui sourira enfin. Cette semaine, il a même repoussé à l'avance la fin de la partie: un mandat de gouvernement dure cinq ans, a-t-il rappelé. Ce n'est qu'à l'été qu'il sera à mi-parcours.

Mais dans le passé récent, les gouvernements qui ont repoussé le test électoral à sa limite de cinq ans ont tous été battus.

Message inaugural

Pour l'heure, l'Assemblée nationale reprend ses travaux mardi. L'opposition péquiste devra jouer de finesse à la période des questions - les premières arrestations de l'opération Marteau ont eu lieu, et une péquiste, Diane Lemieux, a pris les commandes de la Commission de la construction. Jean Charest en a pour quelques semaines à ironiser devant Mme Marois.

Le gouvernement dévoilera son nouveau plan de match (son message inaugural) à la fin février, juste avant la suspension des travaux pour la relâche scolaire, début mars. On y parlera d'«adéquation» entre la formation et le marché du travail. Il faut prévoir aussi des changements importants au Régime des rentes du Québec. Décision populaire, le ministre Bolduc pourra annoncer une cascade de nouveaux lits d'hôpitaux.

Les stratèges libéraux ne se font pas d'illusion: ce genre d'événement ne dure que 12 heures dans les nouvelles. Mais, combinée à une série de «changements», on espère que la nouvelle donne permettra de brasser les cartes.

Bénéfice collatéral, avec un message inaugural et un budget, on atteint six semaines de débat parlementaire. Pas besoin de beaucoup de législation pour occuper l'Assemblée nationale.

Pendant ce temps, Pauline Marois semble sortie des eaux troubles. Au PQ, les congrès des régions battent systématiquement les résolutions qui contestent sa «gouvernance souverainiste». Son seul écueil, avant le congrès d'avril, reste l'intervention attendue de son ancien collègue François Legault. S'il suscite l'intérêt, les péquistes tendront l'oreille et Mme Marois devra accuser le coup.

Du changement

À chaque occasion, Jean Charest promet du changement. Il a même scandé son nouveau mantra à la réunion du comité exécutif du PLQ lundi dernier, à Montréal.

À ses côtés, Marc Croteau, le chef de cabinet, n'a pas semblé se sentir particulièrement visé, raconte un témoin. Deux jours plus tard, M. Croteau a été remplacé par Luc Bastien, un vétéran des cénacles libéraux. Encore là, le mécontentement des députés et des ministres a pesé lourd dans la décision. Sans expérience politique, dépourvu de contact au PLQ, Croteau n'était pas parvenu à s'imposer, mais rien ne bougeait. Ces difficiles face-à-face pour limoger un collaborateur, c'est ce que déteste le plus Jean Charest, confie-t-on.

Il faut du recul pour bien voir le fil conducteur. Depuis que les libéraux lui ont donné les commandes de leur parti, en 1998, Jean Charest s'est toujours entouré de vétérans du PLQ dès que les nuages s'amoncelaient sur sa tête.

Après sa défaite aux mains de Lucien Bouchard, en 1998, il était allé chercher Ronald Poupart et Pierre Bibeau comme conseillers. Quand il a été réélu minoritaire, en 2007, il a tendu la main à John Parisella et à Michel Bissonnette, d'autres libéraux de longue date. Luc Bastien vient du même cercle.

Voilà, Jean Charest abattra beaucoup de cartes sur la table d'ici un mois. Il se donnera quelques mois pour voir si les astres lui seront finalement favorables. Sinon, son été sera le moment d'une profonde réflexion.