«Le Québec aimerait être à votre place », lançait Pauline Marois jeudi dernier aux électeurs de Kamouraska-Témiscouata. Ils n'en sont peut être pas convaincus. Lundi, ils voteront pour trouver un successeur au regretté Claude Béchard. L'opposition espère qu'ils relayeront l'insatisfaction des Québécois envers le gouvernement Charest. Mais ces électeurs voudraient plutôt qu'on s'occupe d'eux. Regard sur une campagne aux enjeux locaux.

«Tout est à refaire dans la région», laisse échapper Denis Fiset, qui dirige la toute nouvelle Chambre de commerce du Témiscouata.

Derrière lui, un modeste buffet refroidit. Nous sommes mardi soir, 21h35, et les candidats du PQ, PLQ et ADQ viennent de terminer un débat.

M. Fiset nous parle de Saint-Pierre-de-Lamy. Le petit village de 121 habitants est desservi par une ligne de 220 volts, et non de 550 volts comme ailleurs au Québec.

L'usine Produits PBM, qui emploie la moitié du village, doit utiliser une génératrice au diesel. Cela rend sa production plus lente et coûteuse.

Les lignes régulières s'arrêtent pourtant à 10 kilomètres du village. Mais en vertu des normes de la Régie de l'énergie, Hydro-Québec demande au village de payer les quelque 700 000$ nécessaires pour prolonger la ligne.

«C'est bien beau, les subventions d'Hydro pour la musique classique et plein d'autres choses. Mais me semble qu'ils pourraient aussi nous aider à travailler», maugrée un des quelque 100 citoyens qui assistaient au débat.

Depuis la rentrée parlementaire cet automne, les politiciens parlent de gaz de schiste, d'écoles passerelles et surtout d'éthique, avec la commission Bastarache et le refus du gouvernement de déclencher une enquête publique sur l'industrie de la construction.

Mais ici, on en parle beaucoup moins. Les enjeux de l'élection partielle sont plus locaux. «Je ne veux pas paraître alarmiste, mais juste de maintenir le niveau actuel, ce serait une victoire», dit Serge Fortin, préfet de la MRC du Témiscouata.

Par exemple, maintenir la circonscription, si peu peuplée qu'elle risque de disparaître avec la réforme de la carte électorale. M. Fortin pilote d'ailleurs la Coalition pour le maintien des comtés en région.

Il parle aussi de maintenir le nombre d'élèves du cégep de La Pocatière, qui prévoit perdre près de la moitié de ses 900 étudiants d'ici 2017, à cause de l'exode urbain. Et également maintenir les soins au CLSC de Pohénégamook et relancer l'économie moribonde.

Le tiers des emplois de Kamouraska proviennent de l'agroalimentaire. Le tiers de ceux du Témiscouata proviennent de l'industrie forestière et de l'acériculture. Deux secteurs rudement éprouvés dans les dernières années.

La région veut diversifier son économie en transformant sur place les ressources naturelles au lieu de les expédier à l'étranger. Et développer de nouvelles activités, comme l'écotourisme.

Le Témiscouata est un peu isolé, comme on le constate après deux heures de route depuis La Pocatière, à travers des collines argentées où la Lune luit déjà sur la neige à la mi-novembre.

À l'extérieur de la route 185, le signal cellulaire se perd souvent. Et certaines municipalités se contentent toujours de lignes téléphoniques à basse vitesse pour se brancher à internet.

Le gouvernement Charest a déjà annoncé des investissements, comme le prolongement de l'autoroute 85 (1,2 milliards de dollars, dont 350 millions déjà investis), le Parc national du Témiscouata (30 millions) et la station touristique du Mont-Citadelle (8 millions).

Serrer des mains

Ailleurs en province, la campagne a surtout retenu l'attention en raison de deux non-événements assez médiatisés: la voiture de la candidate libérale stationnée pendant deux minutes dans une place handicapée, et des militants souverainistes qui ont insulté des libéraux en pleine rue. «Montre-nous tes bobettes roses, esti de moumoune», argumentaient-ils.

Une causette avec les réguliers du Tim Hortons de La Pocatière, dans Kamouraska, suffirait pour finir de plomber les ailes d'un idéaliste.

Quel parti inspire le plus confiance? «Ils sont toutes pareils», répond Jean-Paul Gagné.

La corruption vous inquiète-t-elle? «C'a toujours marché comme ça, avec des enveloppes brunes », lance Guy Saucier.

Ce désabusement, les candidats essaient de le combattre en faisant «du terrain». Il est 13h10, mardi matin, quand l'adéquiste Gérald Beaulieu quitte son local, au sous-sol du Pizza-Bouffe, pour se rendre au centre d'achat de l'autre côté de la rue.

Deuxième aux élections de 2007, M. Beaulieu travaille comme représentant et directeur des comptes d'une entreprise de produits vinicoles. Il commence son bain de foule au Métro en abordant une personne âgée. «Alors, vous allez faire votre devoir de citoyen lundi? Vous allez être fébrile à cette occasion-là?», demande-t-il sérieusement.

Il se réchauffe et commence à lancer ses slogans. «Ah! Vous aussi, vous êtes prêts à faire le ménage! », lance-t-il au préposé du comptoir des viandes qui passe le balai.

Résidant de La Pocatière, M. Beaulieu tutoie la majorité des clients. Mais ils ne sont pas tous faciles à convaincre. «Peu importe le parti pour qui je vote, ça ne changera pas grand-chose», lui avoue un ancien collègue de Bombardier.

Le candidat adéquiste réussit quand même à vendre son programme à plusieurs personnes. «Est-ce que tu aimerais ça, que ta génération soit moins endettée d'ici 10 ans, quand tu vas fonder une famille?», lance-t-il à un jeune commis.

«Euh, oui», répond-il.

«Alors, il faut voter ADQ!», conclut M. Beaulieu.

Mais la complexité de certains sujets se réduit mal à une conversation éclair. Par exemple, la réforme de la carte électorale.

Résumons: la circonscription de Kamouraska-Témiscouata est si peu peuplée qu'elle contrevient à la loi électorale. Elle risque donc de disparaître. Claude Béchard avait présenté un projet de loi pour la sauver. Sa loi allait toutefois faire augmenter le nombre total de comtés en fonction de la croissance démographique. L'opposition a voté contre. Le dossier est retourné sur la table du Directeur général des élections (DGE). Il a proposé de rayer trois comtés de la carte, dont Kamouraska. Le gouvernement a alors suspendu les pouvoirs du DGE pour sauver le comté. Le PQ l'a appuyé. L'ADQ a voté contre. Même si elle veut sauver le comté, elle dénonce cette attaque à l'institution du DGE. Tous les partis doivent maintenant retourner à la table à dessin, et soumettre une nouvelle proposition de réforme de la carte électorale d'ici mars prochain.

C'est difficile à comprendre, surtout pendant qu'on choisit sa marque de shampoing. Même chose pour le contrat des wagons du métro de Montréal accordé à l'usine locale de Bombardier, un dossier que les libéraux croient avoir réglé juste à temps avant les élections.

«Grâce à notre gouvernement, l'usine de La Pocatière a obtenu le contrat», se félicite la candidate libérale, France Dionne.

Mais Bombardier aurait dû obtenir le contrat en 2006, répliquent ses adversaires. «En 2006, M. Béchard disait avoir des avis juridiques béton quand on a donné le contrat à Bombardier. Mais il y a finalement eu des poursuites et menaces de poursuites, et le dossier a traîné pendant quatre années. L'usine de La Pocatière a perdu 400 emplois par année à cause de cela», réplique le candidat péquiste, André Simard.

M. Simard est l'ancien directeur général de l'Institut de technologie agroalimentaire (ITA). En septembre, il sortait de sa retraite, achetait une carte de membre du PQ et briguait l'investiture dans Kamouraska.

La lutte s'annonce serrée. Selon un sondage CROP publié mardi dernier dans nos pages, les libéraux récoltent 34% des intentions de vote, contre 32% pour le PQ, 25% pour l'ADQ et 6% pour Québec solidaire. Le PQ détenait le comté de 1976 à 1985, avant de le perdre pour 25 ans aux mains des libéraux.

La semaine dernière, Pierre Curzi avouait qu'il s'agissait d'un «test» pour Pauline Marois. Le chef péquiste se rendra six fois dans la région pour épauler son candidat.

D'autres députés ont aussi été appelés en renfort, comme Agnès Maltais et Bernard Drainville, présent lors de notre visite cette semaine.

Malgré ses nombreuses années à la tête de l'ITA, M. Simard doit souvent se présenter aux gens qu'il rencontre au centre d'achat de La Pocatière. «Je suis le candidat de l'intégrité, du développement et du changement», répète-t-il, d'un ton assuré mais monocorde. Son slogan est emprunté à Jean Lesage -«il faut que ça change».

France Dionne, elle, mise plutôt sur la continuité. Celle qui a «grandi sur une ferme» de la région, comme elle aime le rappeler, était députée du comté de 1985 à 1997. C'est Claude Béchard qui lui a succédé.

Mme Dionne, la cousine de la femme du premier ministre, était déléguée du Québec à Boston depuis 2004. Elle revient maintenant chez elle pour poursuivre le travail de Claude Béchard, très populaire dans la région.

MM. Simard et Beaulieu assurent que le fantôme de Claude Béchard ne leur nuit pas. «Mais c'est vrai que dans une élection partielle, la personnalité compte peut être un peu plus», concède le candidat péquiste.

Il parle peu de souveraineté. Et les électeurs ne lui en parlent pas vraiment plus. «Ce qui me préoccupe le plus, c'est la dette, et aussi les jobs» dira à M. Simard une dénommée Shirley, vendeuse à la bijouterie Bizou.

Ni la souveraineté ni l'éthique ou l'enquête sur l'industrie de la construction ne figuraient dans les huit thèmes du débat de la Chambre de commerce du Témiscouata.

Mme Dionne y a quand même reproché à M. Simard de faire campagne  sur «des enjeux nationaux». «Ce qui intéresse les gens, c'est le pain et le beurre», croit-elle. Cela, et plusieurs autres choses.

Lundi prochain, Kamouraska-Témiscouata enverra un message au Québec. Mais il ne sera pas facile à décoder.

Kamouraska-Témiscouata

Population: 44 307 personnes

Revenu moyen: 25 380$ (32 074$ au Québec)

0,7% de minorités visibles (8,8% au Québec)

14,2% des 25-64 ans ont un diplôme universitaire (26,2% au Québec)

1100 emplois perdus depuis deux ans au Bas-Saint-Laurent

Taux de chômage au Bas-Saint-Laurent: 11,2%, le deuxième plus élevé du Québec

Source: Recensement de Statistique Canada, 2006