Les acteurs ont changé. Les règles aussi. Si le Parti québécois prend le pouvoir aux prochaines élections et respecte sa promesse de tenir un troisième référendum sur la souveraineté, la bataille que se livreront les camps fédéraliste et souverainiste sera fort différente de celle qu'ils ont menée en 1995.

Au dernier référendum, le gouvernement fédéral était dirigé par un premier ministre natif du Québec, Jean Chrétien. C'était également le cas lors de la consultation de 1980 (Pierre Trudeau). S'il y avait un troisième référendum, les chances pour qu'un Québécois soit aux commandes à Ottawa sont plutôt minces: Stephen Harper est albertain et c'est un Ontarien, Michael Ignatieff, qui a les meilleures chances de le remplacer. La domination des chefs des grands partis issus du Québec est révolue, à Ottawa.

Il y a 15 ans, le mouvement souverainiste pouvait compter sur un chef charismatique capable de soulever les foules en la personne de Lucien Bouchard. Aujourd'hui, Pauline Marois et Gilles Duceppe sont les têtes d'affiche des souverainistes.

Si les nouveaux acteurs en présence risquent d'influer sur la prochaine campagne référendaire, c'est surtout l'application de nouvelles règles qui dictera le déroulement et l'issue de la joute. En 1995, la Cour suprême du Canada ne s'était pas encore prononcée sur la légalité d'une sécession unilatérale du Québec. Le gouvernement fédéral n'avait pas non plus adopté sa fameuse Loi sur la clarté, également connue comme «le plan B».

Selon Benoît Pelletier, expert constitutionnel à l'Université d'Ottawa et ancien ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes dans le gouvernement Charest, le mouvement souverainiste sous-estime profondément les retombées de la Loi sur la clarté et du jugement de la Cour suprême.

En septembre 1996, le gouvernement de Jean Chrétien, encore sous le choc de la mince victoire du Non au référendum du 30 octobre 1995, avait demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur la légalité d'une sécession unilatérale du Québec.

Illégal

En août 1998, la Cour suprême a tranché: le Québec n'a pas le droit de déclarer unilatéralement son indépendance, ni en vertu de la Constitution canadienne, ni en vertu du droit international puisque les Québécois ne sont pas un peuple opprimé.

La Cour a affirmé que, pour être constitutionnelle, la sécession du Québec doit se faire dans le contexte de négociations en bonne et due forme suivies d'une modification constitutionnelle. Et ces négociations doivent avoir lieu après qu'une majorité claire de Québécois aura répondu oui à une question claire sur la souveraineté.

Si le Canada refuse de négocier de bonne foi, le Québec pourrait alors tenter de faire sécession unilatéralement. Il lui faudrait alors obtenir la reconnaissance de son nouveau statut par la communauté internationale.

Cela dit, la Cour suprême n'a pas précisé ce qu'elle entendait par une «question claire» et un «vote clair», laissant aux acteurs politiques le soin de décider.

«Non seulement ce jugement a fait autorité au Canada, mais il a suscité beaucoup d'attention dans d'autres pays. Il est même considéré aujourd'hui comme une référence sur la question de la sécession. Cela veut dire que la communauté internationale, face à un phénomène sécessionniste québécois, tiendrait certainement compte de ce jugement», dit M. Pelletier, qui s'était prononcé contre le plan B à l'époque et avait défendu la majorité nécessaire de 50% des voix plus une.

Loi sur la clarté

Fort du jugement de la Cour suprême, le gouvernement Chrétien a fait adopter en 2000 la Loi sur la clarté.

Cette loi énonce que le gouvernement doit évaluer la clarté de la question posée dans un éventuel référendum en tenant compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale, des résolutions et des déclarations officielles des gouvernements des autres provinces et territoires, du point de vue du Sénat et de l'avis des représentants des peuples autochtones. Ottawa doit faire le même exercice pour évaluer la clarté du vote.

Durant le débat orageux sur ce projet de loi, le gouvernement Chrétien n'a pas précisé ce qu'est une majorité claire, mais il a toujours laissé entendre que ce serait plus que 50% des voix plus une.

«En 1995, dit M. Pelletier, tout le discours portait sur la force de la démocratie, sur le poids que l'on devrait accorder au vote des Québécois. Très peu de gens soulevaient des questions de nature juridique. C'était même mal reçu de le faire. Mais ce que la Cour suprême est venue nous dire, c'est que oui, il y a la démocratie, mais il y a aussi des règles qui s'imposent dans un État de droit ainsi que les obligations du Québec envers ses partenaires fédératifs et ses propres minorités. En 1995, tout cela avait été évacué du débat.»

Autre facteur important, la France, autrefois plus sympathique au mouvement souverainiste, est dirigée par un président, Nicolas Sarkozy, qui s'est prononcé vigoureusement en faveur de l'unité canadienne.

Mais pour le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, l'élément important du jugement de la Cour suprême est que le reste du Canada aura l'obligation de négocier si les Québécois donnent une réponse claire à une question claire. Cette question devrait être la suivante, selon lui: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain?»

Et un vote clair? «Les quatre partis à l'Assemblée nationale, l'ADQ, Québec solidaire, les libéraux et le PQ, s'entendent sur la règle des 50% plus un. Alors ça, c'est déjà réglé», dit-il. Le référendum sur l'indépendance du Monténégro, en mai 2006, est révélateur à ce sujet, selon lui: «L'Union européenne n'a pas demandé le seuil de 55%. Elle a demandé à tous les partis du Monténégro - pas de la Serbie!- de s'entendre sur un pourcentage. Ils ont opté pour 55%.»