Le gouvernement Charest colmatera une brèche dans la loi sur la Régie du logement qui permet à des locataires ou des propriétaires d'abuser des procédures et de suspendre indéfiniment l'exécution d'une décision.

C'est une bonne initiative qui ne règle toutefois pas le problème, plus criant, des délais d'attente à la Régie, estiment les associations de propriétaires et de locataires.

En vertu de la loi, un locataire ou un propriétaire peut faire une demande de rétractation d'une décision de la Régie. Il peut invoquer, par exemple, qu'il n'a pu se présenter à l'audience ou fournir une preuve, que la Régie a omis de statuer sur une partie de la demande ou s'est prononcée au-delà.

Lorsqu'une telle demande est déposée, la Régie suspend l'exécution de sa décision jusqu'à ce qu'un régisseur se prononce. Or, un citoyen peut déposer autant de demandes de rétractation qu'il le veut. La loi ne fixe aucune limite. Pour enrayer les abus, les régisseurs empêchaient le dépôt de plusieurs demandes de rétractation dans un même dossier.

Or le 3 septembre 2009, la Cour supérieure a statué que les régisseurs ne détiennent pas ce pouvoir. La loi ne le leur donne pas explicitement.

La brèche qu'a créée ce jugement a soulevé bien des inquiétudes, en particulier de la part des associations de propriétaires. Dans son rapport annuel déposé le mois dernier, la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, a dénoncé la situation.

«Il est désormais possible pour un citoyen de déposer successivement des demandes de rétractation et de suspendre ainsi indéfiniment l'exécution d'une décision. Il appartient à la victime d'un éventuel abus de s'adresser à la Cour supérieure pour y mettre fin, démarche lourde et coûteuse», peut-on lire dans le rapport. Mme Saint-Germain souligne également que «l'abus de procédures a pour effet de multiplier les auditions à la Régie du logement alors que celle-ci accuse déjà des délais déraisonnables».

Son rapport raconte l'histoire d'un propriétaire qui n'a pu faire exécuter une décision de la Régie qui ordonnait l'éviction d'un locataire pour loyer impayé (13 000$). Le locataire avait fait trois demandes de rétractation sans jamais se présenter devant le régisseur pour être entendu. Il a quitté le logement six mois plus tard, «mais le propriétaire avait peu d'espoir de pouvoir récupérer son dû», qui avait augmenté à plus de 23 000$.

Modifier la loi

Dès mars 2010, la protectrice du citoyen a recommandé à la Régie de modifier la loi pour donner explicitement aux régisseurs le pouvoir de déclarer la «forclusion» pour les citoyens qui abusent des procédures, c'est-à-dire les empêcher de multiplier les demandes de rétractation dans un même dossier.

Le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, responsable de la Régie du logement, déposera au cours de l'automne un projet de loi donnant aux régisseurs le «pouvoir de forclusion», a confirmé son cabinet.

L'an dernier, la Régie du logement a reçu 1934 demandes de rétractation de la part des locataires, dont 1267 sont relatives à des dossiers de non-paiement de loyer. Leur nombre est en hausse: la Régie en avait obtenu 1784 en 2003-2004. De leur côté, les propriétaires ont déposé 456 demandes de rétractation l'an dernier; 771 en 2003-2004.

La mesure prévue par le gouvernement est une «excellente nouvelle», «mais les grands enjeux restent entiers», en particulier le problème des délais d'attente, a affirmé le porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Hans Brouillette.

Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec juge que le gouvernement règle un problème somme toute mineur alors que celui de l'attente est «plus grave». «J'aimerais que le ministre Lessard s'attaque au vrai problème: mettre des régisseurs en nombre suffisant pour entendre les causes dans un délai acceptable», a affirmé sa porte-parole, France Emond. La Régie du logement compte 36 régisseurs, dont 3 sont actuellement en congé de maladie.

Selon la protectrice du citoyen, les délais d'attente sont «déraisonnables». Pour les causes «générales» devant la Régie, l'attente est de 17,3 mois avant une première audience, par rapport à 15,9 mois l'an dernier. Le nombre de dossiers en attente a augmenté, passant de 29 319 en mars 2009 à 34 928 un an plus tard. Le gouvernement avait pourtant promis de le réduire de façon significative.