La commission Bastarache donne des munitions à l'opposition officielle, qui a une fois de plus remis en question l'intégrité du gouvernement lors de la rentrée parlementaire, mardi. Le Parti québécois trouve inacceptable qu'un important collecteur de fonds du Parti libéral du Québec (PLQ), Charles Rondeau, ait pu se rendre 20 fois en six mois au cabinet du premier ministre Jean Charest, entre 2003 et 2004, surtout pour y rencontrer la personne responsable de la coordination des nominations des juges ou autres.

«Est-ce qu'il était là pour aller porter la liste de ceux qui ont financé la caisse libérale et que le gouvernement devait nommer, ou est-ce qu'il était là pour aller chercher la liste de ceux qui venaient d'être nommés afin de mieux les collecter pour la caisse électorale du Parti libéral?» a lancé le député péquiste Bertrand Saint-Arnaud au cours de la période des questions.

M. Saint-Arnaud a accusé Jean Charest d'avoir une «conception de l'éthique plutôt élastique». «Comment peut-il accepter qu'un grand collecteur de fonds du Parti libéral ait un tel accès hebdomadaire à sa responsable des nominations gouvernementales?»

Le premier ministre n'a pas voulu répondre aux questions. Son leader parlementaire, Jean-Marc Fournier, a rétorqué que «tout ce que l'on entend est basé sur des suppositions». Rappelons que La Presse, qui a révélé lundi les visites de M. Rondeau, a obtenu les registres des visiteurs aux bureaux du premier ministre.

«Puisqu'il y a une commission d'enquête, laissons le travail à la commission d'enquête», a conclu M. Fournier.

Qui dit vrai?

De son côté, le leader parlementaire du PQ, Stéphane Bédard, a demandé à Jean Charest de témoigner en commission parlementaire au sujet d'une déclaration qu'il a faite en octobre 2003 et dont on a fait allusion à la commission Bastarache. Comme l'a souligné M. Bédard, Jean Charest avait dit qu'aucun membre de son cabinet n'était intervenu dans le superprocès des Hells Angels. «Il n'a jamais été question d'aucune intervention ou de pression sur quiconque, jamais, jamais, dans cette affaire-là», avait-il ajouté. Or, devant la commission Bastarache, l'ancien ministre de la Justice et procureur général Marc Bellemare a affirmé qu'un membre du cabinet de M. Charest, Denis Roy, était intervenu auprès de lui dans ce dossier. M. Roy l'a confirmé en conférence de presse. «Est-ce que le premier ministre a dit la vérité le 23 octobre ou si c'est M. Roy qui l'a dite il y a de cela quelques semaines?» a demandé M. Bédard.

«Je suis allé relire les questions et les réponses, et la réponse que je donnerais aujourd'hui est la même que j'ai donnée à ce moment-là», a répondu Jean Charest. Jean-Marc Fournier a indiqué que M. Roy avait donné un «conseil» au procureur général et non exercé des «pressions».

Une manne de contrats

Au cours de la période des questions, le PQ a également souligné que des sociétés «liées» à Franco Fava ont obtenu pour plus de 780 millions de dollars de contrats de la part d'Hydro-Québec. M. Fava est un important collecteur de fonds du PLQ qui, selon Marc Bellemare, aurait fait auprès de lui des «pressions colossales» pour obtenir la nomination de juges.

La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a fait valoir que Neilson obtient des contrats d'Hydro-Québec «depuis les années 70» et «a développé une expertise dans le domaine de la construction de grands barrages». Elle a assuré que les contrats ont été accordés dans le respect des règles. Certains l'ont été par appels d'offres, d'autres ont été négociés. Le député péquiste Sylvain Gaudreault a demandé à la ministre de rendre publique la liste des membres du «comité de sélection» pour les contrats négociés à Hydro-Québec. Mme Normandeau a dit n'avoir aucune objection à rendre publique la liste des membres du comité si celui-ci existe bel et bien - elle ne pouvait le confirmer.

Enquête publique sur la construction

L'opposition a repris où elle avait laissé à la dernière session en réclamant de nouveau une enquête publique sur l'industrie de la construction. Une commission d'enquête est plus que jamais nécessaire, croit Pauline Marois. «La situation éthique s'est empirée depuis la fin de nos travaux en juin», a lancé la chef péquiste en allusion à la commission Bastarache. Elle soutient que le gouvernement a «perdu sa crédibilité morale».

Le premier ministre s'est défendu en se retranchant derrière l'économie et le décorum. Le PQ confond «question» avec «allégation» ou «insinuation», a-t-il déploré, après s'être vanté des 115 000 emplois créés depuis l'année dernière et d'autres bonnes nouvelles économiques qui touchent la «vraie vie des gens».

Pour s'attaquer à la collusion, M. Charest vante ses mesures comme le resserrement des règles d'attribution de contrats et la création de l'opération Marteau. Mais les partis de l'opposition n'en démordent pas. Comme trois Québécois sur quatre, eux aussi réclament toujours une enquête. «Le gouvernement va investir 40 milliards dans le domaine des infrastructures publiques. Or, la corruption, de l'aveu même des patrons, (...) occasionne un surcoût de 10%. Faites le calcul, c'est 4 milliards de dollars. Si M. Charest veut parler économie, on doit d'abord parler éthique et transparence dans l'attribution des contrats publics», a expliqué le député de Québec solidaire, Amir Khadir.

Quel mandat aurait exactement cette enquête publique? À la période de questions, le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, a circonscrit cette enquête à un seul parti. Il a parlé d'une «commission d'enquête sur l'influence des grands financiers du Parti libéral sur l'administration publique».