Le gouvernement Charest a donné à un comité d'experts indépendants le mandat de réévaluer le bien-fondé du recours à l'entreprise privée pour la construction du Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM).

De son côté, le directeur du projet, Clermont Gignac, n'écarte pas une nouvelle hausse de la facture, qui atteint pour le moment 2,575 milliards de dollars (voir encadré).

La décision de créer un comité d'experts indépendants fait suite au rapport percutant produit au mois de juin par le Vérificateur général. Selon Renaud Lachance, Québec s'est fondé sur des données et des hypothèses erronées pour choisir la formule du partenariat public-privé (PPP). Les évaluations soumises au gouvernement «ne permettent toujours pas de conclure que ce mode est plus économique qu'une réalisation en mode traditionnel par le secteur public», avait-il affirmé en conférence de presse.

Hier, les députés membres de la commission parlementaire de l'administration publique ont entendu les responsables du projet de modernisation du CHUM. Lors de son témoignage, le secrétaire général du Conseil du Trésor, Denys Jean, a révélé qu'«une évaluation critique par des experts indépendants sera réalisée dans le dossier du pavillon principal du CHUM». Ce «comité de revue diligente» aura le mandat de «réviser le dossier d'affaires».

PPP ou autre modèle?

Le rapport du comité «va donner des éléments d'information pour la prise de décision finale. (...) Il permettra au gouvernement de discriminer: ou on poursuit avec le modèle PPP, ou on envisage un autre modèle», a dit Denys Jean. C'est donc dire que le gouvernement Charest pourrait revenir sur sa décision.

Mais s'il le fait, il y aura un prix à payer, a prévenu le PDG d'Infrastructure Québec, Normand Bergeron: «Quand on fait une analyse financière, il n'y a pas simplement un critère, à savoir s'il est rentable, à plus ou moins quelques millions de dollars, de construire en PPP. Changer de mode de réalisation, ça a aussi des conséquences. C'est au moins un an de retard dans le projet. C'est important de le mentionner. Une semaine de retard, c'est au moins 800 000$. On parle de 40 millions de dollars pour un an.»

Après ce plaidoyer, la députée péquiste Agnès Maltais, dont le parti est farouchement opposé au PPP, s'est demandé si «les erreurs du passé vont nous menotter» et empêcher de changer le mode de réalisation. «On n'est menotté d'aucune façon, a répondu M. Bergeron. Si les analyses démontrent que c'est une mauvaise décision (de choisir le mode PPP), on fera les recommandations qu'il faut.»

Le printemps dernier, le premier ministre Jean Charest avait vivement plaidé en faveur du PPP pour le CHUM et avait assuré que l'appel d'offres aurait lieu à l'automne. En août, il a toutefois annoncé que le PPP avait été écarté pour la modernisation du CHU Sainte-Justine au profit d'un mélange «clés en main et traditionnel».

Lacunes

Le comité d'experts fera son analyse en tenant compte des lacunes relevées par le Vérificateur général. Dans son rapport, il avait notamment dénoncé les données utilisées pour évaluer le coût d'entretien d'un CHUM dont l'État serait maître d'oeuvre. Une dévaluation de 20% - l'«indice de vétusté» - avait été fixée, ce qui est «impossible», selon Renaud Lachance. Le déficit d'entretien atteindrait 66% au bout de 30 ans, ajoutait-on, une autre évaluation jugée irréaliste par le VG.

Le sous-ministre de la Santé, Jacques Cotton, a affirmé que le Ministère s'est fié aux chiffres fournis par les «experts d'Infrastructure Québec», qu'il a n'a fait «aucune contestation». «Le PPP est un domaine très pointu, avec lequel on travaillait pour la première fois», a souligné M. Cotton, auparavant sous-ministre aux immobilisations du secteur de la santé.

Normand Bergeron, d'Infrastructure Québec, reconnaît que l'indice de vétusté utilisé était erroné. «Soixante-six pour cent, vous dites irréaliste, ça nous a semblé la même chose», a-t-il répondu à l'opposition péquiste.

Des remarques qui agacent le directeur du projet

Clermont Gignac s'est montré agacé par certaines remarques du Vérificateur général. Contrairement à ce dernier, il estime que la gestion de ce projet, «malgré les difficultés inhérentes, malgré les changements qui ont été apportés en cours de route, est conforme jusqu'à maintenant aux impératifs que s'est donnés le Ministère». «En matière de gestion, le mieux est souvent l'ennemi du bien, a-t-il ajouté. La performance que nous devons livrer nous commande très souvent d'accélérer les processus et de prendre les décisions qui s'imposent.»

«Dans le feu de l'action, a conclu Clermont Gignac en allusion au rôle du Vérificateur général, les rondelles passent pas mal plus vite pour ceux qui sont derrière le banc ou sur la patinoire que pour ceux qui écoutent le match à la télévision à partir d'un enregistrement.»

Vers une nouvelle hausse de la facture?

Les députés de tous les partis ont manifesté leur inquiétude quant à la facture des projets de modernisation des centres hospitaliers universitaires. Le directeur des projets, Clermont Gignac, n'a rien dit pour les rassurer. Il n'a pu garantir que la facture du futur CHUM se maintiendra à 2,575 milliards de dollars. «On est en train de réviser ça», a-t-il dit aux députés de la commission parlementaire. Il y a quatre ans, le budget avait été fixé à 1,5 milliard de dollars. Pour tous les projets - CHUM, CUSM et CHU Sainte-Justine -, la facture prévue est passée de 3,6 milliards de dollars en 2006 à près de 5,8 milliards. Cet «écart significatif (...) peut paraître inquiétant pour les parlementaires et les contribuables, a affirmé le député libéral Yvon Marcoux. Qu'est-ce qu'on a acheté de plus pour 2 milliards? Est-ce que les citoyens du Québec et les patients vont bénéficier vraiment de meilleurs services?» «C'est peut-être la question qui tue», a laissé tomber Clermont Gignac. L'ajout de lits et de salles d'opération explique en partie la hausse des coûts. «Ça devenait plus économique de démolir et de construire à neuf» plutôt que de faire une «rénovation légère» de l'hôpital Saint-Luc comme c'était prévu au départ, a-t-il ajouté.