Avant même le début de ses audiences, la commission Bastarache sur le processus de nomination des juges a du plomb dans l'aile. Son procureur en chef, Me Pierre Cimon, quitte le navire, agacé que ses contributions à la caisse du Parti libéral du Québec, aient jeté le doute sur son indépendance.

«Je ne pars pas parce que je me sens en conflit d'intérêts. Mais cette controverse démoralise l'équipe (de la commission). J'ai décidé qu'il valait mieux m'en aller», a dit l'avocat de Québec à La Presse.

Avec ce départ, la Commission perd son joueur de centre - le procureur en chef est le pivot de ces organisations. À la commission Gomery, le procureur en chef était Bernard Roy, le bras droit de Brian Mulroney, dont l'impartialité n'avait pas été mise en doute par le gouvernement de Paul Martin.

Entre 2002 et 2007, Me Cimon a versé chaque année au PLQ des contributions oscillant entre 250 et 500 $. «Contribuer à un parti politique est un droit fondamental, on a même adopté une loi pour protéger ce droit. Je le fais, et on en a donné une interprétation tordue... c'est inacceptable», dit Me Cimon.

Il se défend d'être amer, mais des proches ont indiqué à La Presse que l'avocat de 69 ans est carrément ulcéré par la tournure des événements. D'autres procureurs ont pensé claquer la porte, assurent des sources fiables. Dans un communiqué publié en début de soirée mardi, le commissaire Michel Bastarache a fait part de son «profond regret» devant de départ de Me Cimon. «Je demeure totalement convaincu de sa probité», ajoute-t-il. Me Cimon était capable, selon lui, de réaliser son mandat «avec compétence et impartialité».

La Commission s'est réunie mardi pour discuter de la suite des choses. Le début des audiences, prévu en juin, pourrait être reporté. Le successeur probable de Me Cimon est Giuseppe Battista, un avocat de Montréal qui compte 25 ans de pratique en droit criminel et pénal.

Me Cimon en a surtout contre le fait que ses contributions aient provoqué une controverse dans les médias et à l'Assemblée nationale sans qu'on lui permette de s'expliquer.

«Je ne fais aucune politique, je ne connais personne au gouvernement, je ne vais pas dans les rassemblements. Si je fais des contributions politiques, pour de multiples causes, c'est que je crois à une chose. Au Québec, on a un débat qui n'en finit pas sur le fédéralisme... je suis fédéraliste, explique-t-il. Je ne suis pas pratiquant, mais je donne chaque année à la fabrique parce que l'Église est une institution importante. Cela ne veut pas dire que je suis d'accord avec Mgr Ouellet !»

«Injuste»

Me Cimon s'enflamme quand on lui cite les propos de la députée péquiste Véronique Hivon, qui, mardi encore à l'Assemblée nationale, a dit qu'il devait se récuser. Elle a tout de même adouci le ton mardi. Jamais la compétence de Me Cimon n'a été mise en doute, a-t-elle dit, «mais c'était le mauvais choix pour le mauvais poste». «Quand des questions d'éthique sont soulevées, l'apparence de conflit d'intérêts est aussi importante que la réalité», et les contributions politiques de Me Cimon le disqualifiaient, selon elle. D'ailleurs, le premier ministre Charest aurait dû suivre l'exemple d'Ottawa et confier à une instance indépendante la mise en place de cette commission.

«Mme Hivon fait une équivalence injuste en disant que, parce qu'on contribue à un parti politique, on est partisan, que cela nuit à notre jugement. Elle a charrié passablement en soutenant aussi que j'avais eu comme client des entreprises de construction, ce qui compromet mon impartialité. Elle a dit aussi : "Si au moins il avait contribué aux deux partis..." C'est le bout de tout. Elle dit que j'aurais pu acheter son silence si j'avais aussi envoyé 250 $ au Parti québécois ! C'est une totale absence de jugement !» s'insurge-t-il.

«C'est le genre de déclaration qui fait réfléchir sur la façon dont les choses se passent en politique actuellement, a-t-il ajouté. Espérons que c'est seulement une mauvaise période.»

Mardi, à l'Assemblée nationale, la ministre Kathleen Weil, responsable de la Justice, a repoussé toutes les questions et souligné l'indépendance totale de la commission Bastarache.

La semaine dernière, l'ancien ministre Marc Bellemare avait aussi mis en doute l'indépendance de Me Cimon. Celui qui est à la source de la mise sur pied de la commission Bastarache craignait d'être jugé par «une clique» associée au Parti libéral. George Lalande, ancien sous-ministre et ex-député sous Robert Bourassa, abondait dans le même sens.

Me Lalande devait présider le Tribunal administratif du Québec, dont son ami le ministre Bellemare avait la responsabilité. Avec la démission de ce dernier, la nomination n'a jamais eu lieu. M. Lalande s'était retrouvé à la Commission des aînés, où il a eu maille à partir avec la ministre responsable, Marguerite Blais.