Les stations de radio, les réseaux de télévision inondent les ondes de témoignages de citoyens mécontents du budget. Raymond Bachand serre les dents, convaincu que cette colère aura une fin. Les mécontents d'aujourd'hui sont ceux-là mêmes qui s'inquiètent de l'endettement du Québec et du maintien des services, croit-il. Toutes les décisions du budget de mardi étaient prises depuis des semaines. Restait à déterminer le moment de leur entrée en scène, de leur application.

En entrevue avec La Presse, le ministre des Finances lève le voile sur cette chorégraphie qui l'a «angoissé».

Q- Les tribunes téléphoniques des radios, les sondages des réseaux de télévision sont unanimes, aujourd'hui: les gens sont massivement mécontents de votre budget. Comment reçoit-on un tel verdict?

 

R- Je ne suis pas surpris. Il y a deux types de réactions à mon budget, très campées. Tous ceux qui suivent ces questions sont favorables et disent: «Enfin!» D'autres réclament l'équilibre budgétaire, ils veulent qu'on règle la dette et demandent qu'on maintienne les services de santé. Mais quand on leur pose des questions, ils désignent toujours des services qui ne les touchent pas, proposent des coupes qui concernent les autres. Quand on demande à quelqu'un: «Veux-tu payer plus?», la réponse est non au départ, mais je voulais un effort collectif.

Tout le monde participe. Les plus riches aussi: les 3% les plus aisés au Québec contribuent pour 17% des impôts. On taxe les banques. Quant aux sociétés, on fait face à la concurrence des autres provinces, il n'y a pas beaucoup de marge de manoeuvre. Peut-être que tout le monde est mécontent, à court terme. Mais quand la poussière va retomber, les gens vont regarder l'ensemble et se demander: «Quel est mon rapport avec l'État?» On pense que l'État, c'est gratis. Or, ça coûte 62 milliards d'impôts et de taxes. La dette a augmenté, mais c'est de la «bonne dette», elle a servi à rénover les infrastructures.

Q- Comment s'est «construit» ce budget au cours des derniers mois?

R- On a décidé de faire un budget de cinq ans. On aurait pu le faire sur deux ans, mais on aurait vu seulement le cent sur l'essence -15 à 25$ dans l'année. La cotisation de 25$ pour la santé est payable au printemps 2010.

Le grand défi du budget, dans les dernières semaines, a été de doser les choses dans le temps. Chaque défi a sa solution. Pour l'équilibre budgétaire, on a la taxe de vente et la compression des dépenses. Pour les infrastructures, c'est la taxe sur l'essence. Pour la dette, ce sont les tarifs d'Hydro-Québec. Pour l'éducation, ce sera les droits de scolarité. On ne peut pas tout faire en même temps.

La première décision a été d'appliquer un deuxième point à la TPS. Bien de gens me recommandaient de l'avancer au mois de juillet, cette année. On a évalué qu'on avait les moyens de ne pas le faire tout de suite (il s'appliquera en janvier 2012).

Après, le plus délicat a été de trouver une solution aux défis. C'est une question de dosage. Sur l'essence, le principe était décidé assez tôt, mais le taux était à déterminer. Depuis longtemps, la CAA demande que l'argent aille dans un fonds consacré aux routes.

Pour l'électricité, l'idée était là depuis longtemps. On aurait pu le faire pour le 1er juillet ou dès l'an prochain. Bien des gens disaient: «Faites-le tout de suite!» Mais on savait que les Québécois étaient prêts à hausser les tarifs à la condition que cela aille à la dette ou à la santé. Il y a deux ou trois semaines, on a décidé que cela s'appliquerait à la dette (après le retour au déficit zéro).

La contribution santé est venue vers la fin dans les arbitrages. On voyait qu'on avait des solutions pour les différents enjeux, mais on savait qu'on ne pouvait les appliquer en même temps sans écraser le citoyen et l'économie.

Mais pour les agencer dans le temps, décider de l'entrée en scène des mesures, il a fallu quatre ou cinq semaines... et plusieurs scénarios!

Q- La question de l'équité de la cotisation santé choque les gens. Les petits salariés estiment contribuer plus que leur part... Croyez-vous que cela va se calmer?

R- Pour la cotisation santé, on s'est un peu collés sur l'assurance médicaments. On veut une cotisation, on protège les plus démunis avec les crédits d'impôt. Mais tout le monde bénéficie du système de santé, tout le monde devrait verser une contribution minimale. Des 33 milliards que coûte le système de santé, 50% sont payés par les impôts et les taxes, c'est très progressif. On a décidé de ne pas hausser les impôts parce que tous les économistes le disent: c'est ce qu'il y a de plus nocif pour l'économie.

On a 16 milliards de plus de services que l'Ontario. Si les gens veulent maintenir les services, ils doivent payer. On a fait un budget qui protège les services actuellement, dans 5 ans et dans 15 ans. C'est facile de pelleter vers l'avant.

Q- L'ancien ministre Claude Castonguay propose que la cotisation santé soit arrimée aux salaires. Envisagez-vous des modifications?

R- La cotisation santé restera telle qu'elle est. Là où on ouvre le débat, c'est sur la franchise, sur ses modalités. Pour la santé, on a besoin d'une croissance de 5% par année. À terme, il y a une impasse de 500 millions. Cela peut venir de la productivité ou des transferts fédéraux, pas nécessairement de la franchise.

Q- Pourquoi étiez-vous si pressé de revenir au déficit zéro? Le gouvernement fédéral, l'Ontario ont des plans à plus longue échéance que le Québec, qui veut revenir à zéro en 2013-2014.

R- Nous sommes plus endettés que les autres. Il faut revenir plus vite à l'équilibre. Aussi, en 2014, la courbe d'âge s'inverse, il y a moins de monde sur le marché du travail pour supporter les coûts des autres. Nous n'avons pas de temps à perdre, même si nous sommes actuellement en meilleure posture que d'autres. On a mieux traversé la récession, on a moins de chômage. La reprise est bien amorcée ici. On a peut-être les moyens de revenir plus vite aussi.