Le gouvernement Charest fait fausse route en refusant d'arrimer la nouvelle «cotisation-santé» aux revenus des Québécois.

Le père de l'assurance maladie, l'ancien ministre Claude Castonguay, celui-là même que le gouvernement Charest avait mandaté pour fournir un rapport sur ces questions en 2008, a rendu mercredi un verdict très dur.

Joints aussi par La Presse mercredi, Jacques Ménard et Michel Clair, à qui l'on avait également commandé un rapport sur le financement de la santé, vont dans la même direction, avec quelques nuances.

Dans son budget, mardi, Raymond Bachand a annoncé la mise en place d'une contribution qui atteindra 200 $ par année dès 2012. Tous les contribuables devront la payer, quel que soit leur revenu. M. Bachand «aurait pu aller chercher la même somme en modulant selon le revenu, en allant chercher davantage auprès des revenus élevés», a soutenu M. Castonguay dans un entretien avec La Presse, au moment où un débat très émotif s'élevait à l'Assemblée nationale.

Le premier ministre «taxe comme il respire !» a lancé la chef péquiste, Pauline Marois. Tout de suite après, le critique du PQ en matière de santé, Bernard Drainville, a promis une bataille sans merci contre cet «impôt-santé» qui sera instauré dès le mois de juillet prochain, ainsi que contre le projet d'imposer une «franchise» aux patients des cliniques médicales. «La bataille qu'on mène, c'est pour s'assurer que cette contribution et le ticket modérateur ne voient jamais le jour», a-t-il lancé.

Jean Charest estime pour sa part que le budget de mardi est «un geste courageux» : «On arrête de payer sur la carte de crédit de nos enfants. On va pouvoir les regarder dans les yeux et leur dire qu'on a pris les bonnes décisions.»

La réplique de Gérard Deltell, chef adéquiste a été cinglante : «Va-t-il regarder dans les yeux l'humble travailleur à 25 000 $ par année et lui dire : "Je gagne 258 000 $, mais je paye 200 $ comme toi." ?»

Corriger le tir

Claude Castonguay croit que Raymond Bachand devrait tout de suite corriger le tir. «Étant donné les réactions du public, on pourrait considérer une contribution sous forme de pourcentage du revenu imposable, assujettie à un maximum. C'est ce qu'on avait fait avec l'assurance maladie en 1970.»

Dans l'ensemble, selon lui, ce budget s'imposait. «On est rendu là. Cela prenait du courage de la part de M. Bachand.»

Cependant, en santé, le gouvernement aurait pu procéder de façon plus ordonnée. «S'il avait agi il y a deux ans (après le rapport Castonguay, NDLR), de façon isolée, les réactions auraient été différentes.» Une réforme importante imposée en même temps qu'une série de décision impopulaires «va servir de paratonnerre» et canaliser tout le mécontentement suscité par un budget «courageux», déplore M. Castonguay.

Son jugement est d'autant plus embarrassant pour le ministre Raymond Bachand que deux autres experts mandatés par Québec pour obtenir des recommandations sur ces questions, Jacques Ménard et Michel Clair, joints aussi mercredi, sont du même avis.

Mesure «transitoire»

Jacques Ménard, qui avait abordé la question du financement de la santé dans son rapport en 2005, comprend le geste de M. Bachand. La compensation «a l'avantage d'envoyer le message, de donner le signe qu'il y a un prix, observe M. Ménard. On responsabilise les citoyens. Qu'on amène tous les Québécois à une contribution, à ce stade-ci, c'est dans la bonne direction.»

Mais l'aspect régressif, l'iniquité d'une cotisation identique pour tous le monde le préoccupe. D'ici «trois, cinq ans», cette contribution devrait être, d'une façon ou d'une autre, ajustée aux revenus, estime le patron de la Banque de Montréal.

«Je vois ça comme une mesure transitoire, en attendant quelque chose de plus structurant après l'ouverture de la loi canadienne sur la santé», résume-t-il.

MM. Castonguay et Ménard avaient proposé de financer la santé à même une hausse de la taxe de vente du Québec, avec la prémisse que les plus riches, qui consomment davantage, paieraient plus.

Michel Clair, quant à lui, avait suggéré la mise en place d'une «assurance autonomie» - un tout autre mécanisme. Mais mercredi, il partageait l'avis de M. Ménard. «Il n'y a pas de caractère progressif... On peut faire un petit bout de temps avec ça, mais normalement il faut que ce soit rattaché d'une façon ou d'une autre aux revenus individuels», a observé l'ancien ministre péquiste.

Quant à l'idée de la franchise (le budget prévoit une contribution de 25 $ par visite chez le médecin, payable sur la déclaration de revenus), MM. Castonguay et Ménard divergent d'opinion. Le premier croit que le fait que ce soit «fiscalisé» (payé en même temps que l'impôt) rend l'opération conforme à la Loi canadienne sur la santé, qui garantit la gratuité des soins de santé aux usagers. M. Ménard, lui, rappelle que le ministre Philippe Couillard, quand le gouvernement lui a confié son mandat, dépeignait toutes ces contributions des usagers comme «de

fausses pistes».