À la suite de la controverse sur le port du niqab, la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, reconnaît que les organismes publics ont besoin de balises. Elle promet des «gestes», mais n'ira pas jusqu'à déposer un livre blanc sur la laïcité comme le recommandait le rapport Bouchard-Taylor. Pas question pour elle d'assister à une autre thérapie collective.

Q: Pourquoi avez-vous dû intervenir à titre de ministre pour expulser à deux reprises d'un cours de français une femme d'origine égyptienne, Naema Ahmed, qui refusait d'enlever son niqab?

R: Ça va faire trois ans que je suis ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles. Et c'est la première fois que je suis informée d'une situation où une personne a refusé. Au cégep de Sainte-Foy, d'autres personnes avec le visage couvert ont voulu participer à un cours, on les a informées, et elles ont accepté de se dévoiler. Pour moi, un cours de francisation, c'est aussi un cours d'intégration. Et j'ai pris la décision que je devais prendre. Pour moi, c'est sûr que ça doit se faire à visage découvert.

Q: Si c'est aussi clair, pourquoi le cégep Saint-Laurent a-t-il cherché à «accommoder» Naema Ahmed pendant des mois? Pourquoi cette femme a-t-elle pu s'inscrire ailleurs et suivre un cours avec son niqab pendant un certain temps, avant que vous n'interveniez à nouveau?

R: Très franchement, à la lumière de ça, du fait que des dirigeants ou autres n'aient pas vu la situation comme le cégep de Sainte-Foy, le premier ministre l'a évoqué, on a l'intention d'aller de l'avant avec des gestes qui vont être encore plus clairs.

Q: Quels sont ces gestes?

R: On évalue tous les scénarios possibles. Ce sera présenté prochainement.

Q: Le gouvernement veut que toute personne ait le visage découvert pour «recevoir des services d'institutions publiques». Concrètement, une femme devra-t-elle enlever son voile intégral en entrant dans un hôpital ou une université?

R: C'est sûr que ça va aller dans le sens de clarifier toute cette question. On l'a fait aussi quand on a modifié la loi électorale pour que le vote se fasse à visage découvert.

Q: Naema Ahmed a décidé de porter plainte à la Commission des droits de la personne. Il pourrait y avoir contestation des gestes que vous ferez. Êtes-vous prête à recourir, si nécessaire, à la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits pour vous assurer que la règle s'applique?

R: On a la responsabilité comme gouvernement de prendre la décision et de le faire correctement. Ce que ça veut dire, c'est qu'on va faire les gestes qu'il faut faire. Point à la ligne.

Q: Quitte à recourir a la clause dérogatoire au besoin?

R: Je n'ai pas dit ça.

Q: Êtes-vous favorable à l'idée d'interdire le port de signes religieux ostentatoires chez les employés de l'État?

R: On respecte le principe de la neutralité de l'État. Mais on ne veut pas arriver à une situation où on doit enlever le crucifix à l'Assemblée nationale ou empêcher les personnes de porter leur petite croix quand ça ne nuit pas à leur capacité d'occuper leur fonction.

Q: Donc on ne touche pas au port de signes religieux ostentatoires?

R: La situation actuelle, c'est qu'on n'a pas à interdire ces cas-là.

Q: Le rapport Bouchard-Taylor a recommandé le dépôt d'un livre blanc sur la laïcité. Allez-vous en présenter un?

R: Le gouvernement a mis de l'avant 80% des recommandations de ce rapport. Je comprends que les gens peuvent dire pourquoi on n'a pas fait le livre blanc. Rappelons-nous dans quel contexte on était à la fin de la commission Bouchard-Taylor. La Commission a été un exercice nécessaire qui nous a permis comme Québécois d'évoluer. Mais on a aussi entendu des choses très difficiles, des personnes qui ne reflètent pas ce qu'est la pensée de la majorité. Le constat que je fais, c'est que c'était un exercice nécessaire, difficile. Selon moi, un livre blanc allait amener un deuxième débat en ce sens là. Et pour notre société, à ce moment-là, notamment, je ne pense pas que c'était quelque chose qui aurait été bien.

Q: Est-ce que le moment est plus favorable maintenant pour déposer un livre blanc?

R: Maintenant, je comprends de la population qu'elle souhaite qu'on prenne un certain nombre de décisions où on va favoriser le vivre-ensemble dans le respect des valeurs. C'est ce qu'on a fait avec le geste de cette semaine et qu'on va clarifier pour d'autres situations qui pourraient se présenter.

Q: Donc ces gestes-là plutôt qu'un livre blanc...

R: Les gens s'attendent à ce que l'on fasse des gestes. Donc on le fait, on agit.

Q: On a l'impression que le gouvernement marche sur des oeufs...

R: Ce n'est pas une question de marcher sur des oeufs. Moi, je suis très candide quand je dis que quand on a affaire à tous les défis que représentent l'identité et la diversité, c'est sûr qu'il faut toujours le faire dans le respect, la confiance et bien réfléchir. Pour moi, réfléchir avant de dire quelque chose, ce n'est pas du tout hésiter. C'est agir de façon responsable. Je déplore les gens qui... Il y a des limites à dire n'importe quoi sur un coup de tête!

Q: L'automne dernier, le gouvernement a mis de côté votre projet de loi 16 qui demandait à tout organisme public d'adopter une «politique de gestion de la diversité culturelle». Plusieurs groupes ont craint que cette loi entraîne des dérapages en matière d'accommodements. Reverra-t-on ce projet de loi?

R: À la suite de la commission parlementaire, j'ai dit que c'est le genre de dossiers qu'on doit faire avec un certain consensus. Alors, j'entends toutes les suggestions. Je ne peux présumer quand, s'il va être adopté... Si votre question est si je crois toujours en notre capacité à bouger sur la représentativité des minorités au sein de la fonction publique, c'est sûr que je vais continuer à travailler pour ça.