Après s'être déclarés coupables de collusion dans l'octroi de contrats de Transports Québec, quatre entreprises ont continué de recevoir des millions de dollars par année de ce ministère. Somme totale des contrats accordés: 94 millions.

Et au moment même où il distribuait les millions à ces entreprises, le ministère des Transports les poursuivait au civil afin d'obtenir 800 000$ pour des dommages subis en raison d'un complot pour gonfler les prix des contrats de déneigement.

En 2000, Nepcon, Giguère et Geoffroy, Excavation Loiselle, Roxboro Excavation et deux autres compagnies qui n'existent plus aujourd'hui ont avoué leur culpabilité à une accusation de complot visant à se partager le marché et à réduire indûment la concurrence dans le cadre d'appels d'offres pour le déneigement à Montréal.

Le Bureau de la concurrence du Canada avait porté les accusations... à la suite d'une plainte d'un enquêteur du MTQ déposée en 1997. Les entreprises ont été condamnées à payer des amendes totalisant un million de dollars.

En 2002, le MTQ a intenté une poursuite contre les mêmes entreprises, constatant que les prix de certains contrats avaient été gonflés artificiellement. Il réclamait plus de 800 000$ à Nepcon, Giguère et Geoffroy, Excavation Loiselle et Roxboro Excavation. Chose surprenante, une entente à l'amiable est intervenue... il y a environ deux mois. Les quatre entreprises ont accepté de verser 200 000$ au total, a confirmé Michel Giguère, président de Giguère et Geoffroy.

Pendant les sept années qui ont suivi l'admission de leur culpabilité pour collusion, ces quatre entreprises ont continué d'obtenir, à chaque année, au moins un contrat du MTQ. Selon les informations obtenues, il s'agissait même de contrats de déneigement.

Entre 2001 et 2008, ces contrats ont totalisé entre 3 et 4 millions de revenus pour ces entreprises par année.

En 2008-2009, toutefois, les entrepreneurs Giguère et Geoffroy, de Lavaltrie, et Nepcon, de Laval, n'ont pas obtenu de contrats du MTQ. Quant à Excavations Loiselle, elle a aussi été privée de contrats de déneigement, qu'elle obtenait de manière continue depuis au moins 2001.

En revanche, Loiselle et Roxboro Excavation ont obtenu, en 2008-09, de gros contrats de construction pour des projets majeurs du MTQ. Seule Roxboro Excavation a poursuivi ses activités de déneigement, l'hiver dernier, en obtenant deux contrats. L'un, obtenu par soumission publique, pour un montant de 1,04 million$ (renouvelable à l'hiver prochain et pour l'hiver 2010-2011, au même montant), pour déneiger une partie de l'autoroute 20 et de la route 138, dans des circonscriptions de l'Ouest de l'île de Montréal.

Le MTQ a aussi accordé à Roxboro Excavation un contrat «conclu de gré à gré», d'une valeur de près de 30 000$, pour le chargement et le transport de la neige sur une portion de l'autoroute 13, au nord de Montréal.

Cette entreprise a aussi obtenu des contrats de construction totalisant près de 30 millions$, par soumissions publiques, dont un pour la construction d'un chemin de détour sur le chantier de l'échangeur Dorval (A-520). Son contrat le plus important est en cours de réalisation: il s'agit de la construction d'une deuxième chaussée dans la bretelle Souligny qui relie l'autoroute 25 à la rue Notre-Dame, dans l'est de Montréal. Le contrat est d'une valeur de 28,5 millions$, selon les données obtenues par La Presse.

La firme Excavation Loiselle a pour sa part obtenu quatre contrats de construction du MTQ, au cours de l'année 2008-09, dont trois visaient des réfections de ponts ou de viaducs dans l'ouest de la Montérégie. Son contrat le plus important, d'une valeur de 38,5 millions$, prévoit la réalisation de travaux sur une distance de 5,2 km à Lochaber, en Outaouais, dans le cadre du projet de prolongement de l'autoroute 50 entre Mirabel et Gatineau. Ces travaux ont lieu dans la circonscription du ministre délégué aux Transports, Norman MacMillan.

Joints par La Presse, le président d'Excavation Loiselle, Yves Loiselle, et celui de Giguère et Geoffroy, Michel Giguère, ont confirmé que le MTQ a continué de conclure des contrats avec eux, sans poser de questions, après leur déclaration de culpabilité. Cette situation est normale à leurs yeux puisqu'ils étaient le plus bas soumissionnaire à l'issue des appels d'offres mentionnés. Comme Jean-Guy Théoret, fondateur de Roxboro Excavation, ils ont dit avoir peu de choses à se reprocher dans l'affaire du complot. Le président de Nepcon, Anthony Mergl, n'a pas rappelé La Presse.

Selon l'attachée de presse de la ministre Julie Boulet, Jolyane Pronovost, «dans ces années-là, il n'existait pas de mécanisme permettant au MTQ d'écarter ou d'éliminer la soumission d'une entreprise s'étant rendu coupable d'une infraction de ce type». Les entreprises conservaient donc le privilège de répondre à des appels d'offres publics pour les contrats gouvernementaux, malgré une tache à leur dossier.

«Par contre, a-t-elle souligné, le projet de loi 73, déposé par le ministre Sam Hamad pour resserrer les règles d'attribution des contrats, prévoit des mesures qui pourraient valoir aux entreprises une suspension de licence allant jusqu'à cinq ans», qui les rendraient ainsi inéligibles aux contrats du MTQ ou de tout autre ministère.

Au cours d'un débat houleux à l'Assemblée nationale, l'opposition a condamné l'attitude du MTQ dans le cas de Roxboro Excavation, qui avait déjà fait l'objet d'une dépêche de La Presse canadienne. Le député péquiste Stéphane Bergeron s'est demandé si «l'aveuglement volontaire du gouvernement a quelque chose à voir avec le fait que les principaux actionnaires de Roxboro Excavation ont contribué pour plus de 57 000$ à la caisse électorale du Parti libéral depuis 10 ans».

Julie Boulet a répliqué que le gouvernement péquiste avait donné des contrats d'une valeur de 26 millions de dollars à Roxboro Excavation en 2001-02, donc après son aveu de culpabilité. Ce n'est toutefois pas le montant inscrit dans les comptes publics consultés par La Presse, une différence que le cabinet de la ministre n'a pas expliquée.

Avec la collaboration de Francis Vailles