Le Parti québécois hésite encore à imposer les dispositions de la Loi 101 au réseau collégial pour éviter que les immigrants et de nombreux francophones n'aillent au CEGEP en anglais. Toutefois dès la semaine prochaine, Pauline Marois compte revenir à la charge à l'Assemblée nationale avec une nouvelle mouture de son projet de loi sur l'identité, proposant que la laïcité, l'égalité homme-femme et la primauté du français servent de balises pour interpréter l'ensemble de la Charte québécoise des droits.

Du même coup, a promis aujourd'hui Mme Marois, le gouvernement Charest sera forcé de se prononcer rapidement sur la proposition du PQ qui veut étendre la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. La Cour suprême cautionnait qu'on puisse, par l'inscription à une école privée non subventionnée acheter pour un élève le droit de s'inscrire par la suite au réseau scolaire anglophone. La Cour avait donné un an au gouvernement Charest pour prendre une décision sur ces écoles «passerelles» interdites par la loi 104, jugée inconstitutionnelle.

«Si le gouvernement rejette notre proposition, on aura compris le message. Pour les libéraux la loi 101 est une épine au pied. Pour nous c'est notre grande fierté» a soutenu la chef péquiste, devant 500 délégués réunis pour la fin de semaine pour un colloque sur les questions culturelles. Elle a indiqué que son parti déposera mardi un projet de loi «qui assurera cet état de fait soit connu et respecté de tous. Il nous faut défendre nos valeurs parce que personne ne va le faire à notre place», a-t-elle dit.

Le projet de loi, expliquera Alexandre Cloutier, constitutionnaliste et responsable de ce dossier au sein du caucus péquiste, est en fait une nouvelle mouture du projet de loi 95, «sur l'identité» que Mme Marois avait déposé à l'automne 2007. Les valeurs de laïcité, d'égalité des sexes et de primauté du français y sont inscrites comme clauses interprétatives de la Charte québécoise des droits. Pas question toutefois de bouleverser les habitudes, de retirer le crucifix des écoles pour affirmer la «laïcité» des institutions publiques - le projet de loi assurera en même temps le respect du «patrimoine historique» assure M. Cloutier.

Pour Mme Marois, l'attentisme du gouvernement sur la loi 104, l'indifférence de Jean Charest aux enjeux linguistiques a contaminé ses ministres. Christine Saint-Pierre s'est interrogée récemment: comment Pierre Curzi, critique péquiste au dossier linguistique, un fils d'immigrant, pouvait-il cautionner l'obligation d'aller étudier en français. «Chaque Québécois a le droit d'avoir à coeur la protection du français. Que sa famille soit ici depuis 400 ans ou qu'on soit un fils d'immigrant» a-t-elle lancé.

«Nous n'avons pas peur d'affirmer ce que nous sommes», résume Mme Marois. Pour elle le gouvernement libéral n'a rien fait pour favoriser l'identité québécoise. «Le français est une langue commune, nous comptons bien maintenir sa prédominance. Les valeurs fondamentales comme la laïcité de l'état, l'égalité entre les hommes et les femmes, nous les affichons avec fierté. Nous sommes prêts à faire ce qu'il faut pour les faire respecter» a-t-elle souligné.

Les «accommodements, quand ils sont déraisonnables, doivent être interdits. Et c'est l'état qui doit dresser les balises» a-t-elle soutenu soulignant que le gouvernement Charest n'avait pas répondu à la requête des commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor de «vider ce débat». «Qu'a fait le gouvernement ? Rien. Il a présenté un projet de loi qui proposait de ne rien faire !» de soutenir la chef péquiste.

Hésitation sur les CEGEPS

Bien qu'ils veuillent mettre de la pression sur le gouvernement Charest dans le dossier linguistique, les péquistes hésitent toujours devant la lancinante question de l'application de la loi 101 au réseau collégial, un débat qui était déjà présent au PQ sous Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry. Au pouvoir, le PQ s'était toujours opposé à cette orientation maintes fois mise de l'avant par son aile la plus militante. Dans l'opposition, les choses paraissent différentes.

En colloque les militants sont appelés à discuter, sans qu'une résolution ne soit votée, sur les mesures nécessaires «pour que les étudiants provenant des écoles secondaires francophones fréquentent des CEGEPS de langue française».

Actuellement, les immigrants vont vers l'anglais une fois sur deux en dépit du fait que 78 % de la population est francophone. Quatre fois sur dix, les allophones qui sortent du secondaire francophone -une obligation de la loi 101-s'inscrivent au collégial anglophone où prévaut la liberté de choix. En 2006, près de 13 000 étudiants issus du réseau secondaire francophone se sont inscrits aux CEGEPS anglais.

Responsable du dossier linguistique au PQ, Pierre Curzi, député de Borduas, dit que son opinion n'est pas arrêtée définitivement, mais qu'il penche clairement du côté de l'imposition du français au collégial aux francophones comme aux allophones. «La situation consolide la culture anglophone. On pourrait ne rien faire, mais cela n'a pas de sens. C'est quand même majeur 13 000 personnes par année». Il avoue «ne pas voir d'autres alternatives» à l'application de la loi 101 au collégial. «Moi je pense de ce côté-là, je ne vois pas d'autre manière. Le débat n'est pas terminé et il n'y a pas d'unanimité», soutient M. Curzi.

Responsable du dossier linguistique sous les gouvernements péquistes,  Louise Beaudoin indique que son opinion n'est pas arrêtée sur la loi 101 au collégial. Elle s'était vigoureusement opposée à cette idée quand elle était ministre, mais, constate-t-elle aujourd'hui, il faut admettre que la situation ne s'est pas améliorée. «Je m'interroge, et je veux entendre ce que les militants en pensent. Le PQ n'a pas à prendre position avant son congrès (février 2011)», rappelle Mme Beaudoin.

Sur l'idée d'étendre la loi 101 aux centres de la petite enfance, M. Curzi semble loin des «électrochocs» nécessaires aux yeux de Pauline Marois. L'idée est d'assurer que les enfants aient accès à un encadrement en français, ce qui aura un impact favorable à leur réussite scolaire une fois à l'école. «Un des moyens est de s'assurer que les éducatrices maîtrisent le français et l'utilisent». Il se choque quand on lui demande comment cette compétence pourrait être évaluée... «il n'y a pas de tests de langue... ne détournez pas la question!» lance-t-il. «Je ne sais pas comment cela pourrait s'appliquer au niveau opérationnel» a-t-il dit.

Le député de Gouin, Nicolas Girard, responsable du dossier de la petite enfance ne sait pas davantage comment ce «principe» de franciser les CPE pourrait s'appliquer concrètement. «Comment on l'applique... on n'est pas rendu à cette étape» dira le député Girard. Mais les études démontrent que les enfants des communautés culturelles arrivent souvent mal préparés pour l'école. On constate aussi que les CPE sont souvent le seul lieu d'apprentissage du français pour les jeunes allophones.