Après des semaines de controverse où il a nié qu'il y avait un problème éthique dans le fait qu'un ministre détienne des actions d'une firme ayant des contrats du gouvernement, le premier ministre Jean Charest a annoncé qu'il faisait marche arrière. Sa décision a forcé le départ de son ministre du Travail, David Whissell.

Les directives touchant les ministres seront modifiées pour empêcher qu'un membre du gouvernement puisse détenir des intérêts dans une société privée qui profite de contrats gouvernementaux, a fait savoir mercredi le premier ministre Charest.

David Whissell a décidé de quitter le ministère du Travail, qu'il détenait depuis deux ans, afin de conserver ses actions dans une entreprise d'asphaltage, ABC Rive-Nord, dans laquelle sa famille a depuis longtemps une participation.

En point de presse mercredi, après la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, M. Charest a soutenu que la situation du ministre Whissell posait des problèmes de «perception». Depuis plusieurs semaines, le ministre de l'Outaouais se trouvait au centre d'une controverse. L'entreprise ABC Rive-Nord, dont il détient 20 % des actions, a obtenu l'an dernier du ministère des Transports, sans appels d'offres, deux mandats totalisant 800 000 $. Depuis l'entrée de M. Whissell au Conseil des ministres, la valeur des contrats d'ABC Rive-Nord avec le gouvernement a doublé.

Le Syndicat des fonctionnaires du gouvernement du Québec a attaché le grelot il y a plusieurs mois à ce sujet, et il a écrit la semaine dernière au vérificateur général pour lui demander de faire enquête. À la veille de la reprise des travaux à l'Assemblée nationale, mardi prochain, M. Charest voulait visiblement éviter de donner des munitions à l'opposition. «L'apparence d'intégrité du gouvernement est tout aussi importante que l'intégrité elle-même», a expliqué M. Charest.

Il a convoqué son ministre vendredi à son bureau de Montréal, a appris La Presse. C'est là que le jeune élu - il a 42 ans - a été mis devant ce choix déchirant : vendre sa participation dans l'entreprise familiale ou démissionner de son poste de ministre. Après un week-end de réflexion, M. Whissell a fait connaître sa décision. M. Charest a insisté sur le fait que son ministre avait fait son choix sans contrainte : «Un choix s'offrait à lui. Se départir de ses intérêts ou quitter le Conseil des ministres.» Pour bien montrer que la décision avait été consensuelle, M. Charest s'était fait accompagner du démissionnaire.

M. Charest a aussi révélé que son ministre des Relations internationales, Pierre Arcand, avait décidé de se départir de sa participation dans une entreprise d'affichage susceptible d'obtenir des contrats du gouvernement. Quant aux intérêts du ministre Yves Bolduc dans une clinique de santé au Saguenay, ils n'entravent pas les règles, selon lui, puisque la société n'a pas de contrats du gouvernement. M. Charest a rappelé que son gouvernement a proposé, le

printemps dernier, un projet de loi sur l'éthique et attend toujours une réponse de l'opposition péquiste quant à la création d'un poste de commissaire à l'éthique.

Jean Charest avait modifié les règles d'éthique auxquelles sont assujettis les ministres pour permettre à M. Whissell, entre autres, de conserver ses actifs, placés dans une fiducie sans droit de regard. Pierre Arcand avait profité des mêmes changements, qui avaient retardé la publication des déclarations d'intérêts des ministres le printemps dernier.

«On voulait tenir compte avec discernement de la situation particulière de certains ministres sans faire de brèches sur les questions d'éthique», a expliqué mercredi M. Charest. On avait décidé que le ministre devait mettre ces entreprises dans des fiducies sans droit de regard, qu'il ne participerait pas aux décisions pouvant toucher sa firme et que tous ces intérêts seraient connus du public.

Décision déchirante

«La situation a assez duré... il y a eu trop de faussetés», a lancé de son côté M. Whissell. Ces mois de controverse publique ont miné sa confiance. Sans laisser transparaître d'émotion, il a annoncé la décision «la plus difficile de [sa] vie».

«La vraie question n'est pas de savoir si un ministre détient des intérêts dans une entreprise, mais bien si les bénéfices sont accrus par la fonction de l'élu. Le débat est certainement à faire sur le plan de l'éthique... Je pense que ma décision d'aujourd'hui va permettre de le faire avec plus d'impartialité. J'espère qu'on évitera à quiconque de vivre une situation pareille à la mienne», a dit M. Whissell.

Le jeune élu mercredi a rappelé son bilan à la tête du

ministère du Travail, un poste qu'il détenait depuis deux ans. C'est sous son règne que Québec a modifié la loi sur l'équité salariale, «pour que toutes les femmes du Québec puissent obtenir ce qui leur revient», et que le salaire minimum a connu deux hausses importantes (de 50 cents), «de loin le plus grand pas en la matière». Enfin, le printemps dernier, il a été le premier ministre en 30 ans à faire augmenter de façon importante les amendes prévues par la Loi sur la santé et la sécurité du travail. «Je suis fier de mon bilan», a-t-il lancé.

Il conserve pour l'avenir prévisible son poste de député d'Argenteuil. Il avait été élu pour la première fois dans une complémentaire en juin 1998. Il a traversé par la suite quatre élections générales. C'est le ministre de l'Emploi, Sam Hamad, qui reprendra ses responsabilités au Travail.