La plupart des bénéficiaires de l'aide sociale refuseraient un emploi au salaire minimum à cause des avantages qu'ils perdraient, constate une vaste enquête menée par Emploi-Québec.

Le rapport de Léger Marketing, produit en février 2008, propose le résumé des observations faites deux mois auparavant dans des groupes types d'assistés sociaux qui ont des problèmes à réintégrer la population active. Les échanges avec près de 70 bénéficiaires, qui perçoivent de l'aide directe depuis plus de deux ans, ont eu lieu à Montréal, à Québec et en Mauricie.

Obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information gouvernementale, le rapport observe que «la grande majorité des répondants refuseraient une telle offre », un emploi au salaire minimum, qui sera augmenté à 9 $ l'heure à compter du 1er mai. «Pour eux le calcul est simple: la perte des avantages financiers offerts par l'aide sociale combinée à un revenu presque équivalent aux prestations supplémentaires (transport, garderie, etc.) ne permet pas d'envisager une emploi à ces conditions. »

Dans l'ensemble, le rapport est embarrassant pour le Ministère qui a tenté, dans un premier temps, d'en interdire l'accès public. Appelé à commenter, le ministre Sam Hamad a relevé que depuis cette enquête, le salaire minimum avait été haussé à deux reprises, pour un total de 1$ l'heure. De plus, le Pacte pour l'emploi accorde maintenant 2400$ de plus sur un an aux prestataires qui participent aux mesures pour améliorer leur employabilité. Ceux qui réintègrent le marché du travail après trois ans d'inactivité reçoivent aussi 2400$ de plus que leur salaire la première année. Pour M. Hamad, ces mesures ont contribué au fait que le nombre des prestataires a reculé de 64 000 depuis cinq ans - on compte actuellement 350 000 bénéficiaires.

Mais selon le rapport de Léger Marketing, les prestataires d'aide sociale craignent qu'une mise à pied éventuelle ne les place dans une situation pire que l'aide sociale, qu'elle «ne les fasse retourner en arrière ».

Seuls «quelques répondants»dans tous les groupes interviewés affirment que «si l'emploi correspondait à leurs compétence et à leurs champs d'intérêt, ils accepteraient volontiers un emploi au salaire minimum ». De la même manière, «certains seraient prêts à travailler au salaire minimum si on leur laissait entrevoir des possibilités d'avancement ».

Des bénéficiaires de l'aide sociale qui ont des «limitations physiques»qui les empêchent de retourner occuper le même genre d'emploi qu'ils ont perdu «n'envisagent pas vraiment un retour dans d'autres types d'emploi, un peu comme si le marché du travail leur était maintenant complètement fermé ».

«Plusieurs répondants»expriment que «sans un salaire décent, des conditions de travail respectables (horaire de travail convenable et sécurité au travail) et un travail intéressant, il leur est difficile d'imaginer un retour à l'emploi ».

Fait étonnant, souligne Léger Marketing, alors que des parents d'enfants en bas âge ne voient pas de contrainte à leur retour au travail, certains prestataires soulèvent que le fait de devoir s'occuper d'un adolescent ou de leurs parents les empêcherait de travailler.

«Dans la majorité des cas», une compensation financière versée par Emploi-Québec «comme une prime quelques fois par année»contribuerait à convaincre les prestataires de retourner au travail, au salaire minimum.

Les gens évaluent plutôt négativement leurs chances de revenir au travail, en particulier dans la région de Trois-Rivières où la situation est pire qu'il y a deux ans, selon les membres du groupe type.

Les programmes de réinsertion d'Emploi-Québec sont souvent critiqués. Pour les bénéficiaires, ces mesures «ne permettent pas de retourner sur le marché du travail et d'y rester». «Plusieurs répondants avaient la conviction que les employeurs engageaient des participants aux mesures uniquement pour la durée de leur stage.»Les prestataires soulignent que la rémunération ne permet pas de se déplacer, de se nourrir et d'avoir une tenue vestimentaire adéquate pour occuper l'emploi. Une fois le stage terminé, les prestataires s'estiment laissés à eux-mêmes. Les assistés sociaux «de façon générale n'ont pas refusé de participer à une mesure». Certains relèvent qu'on ne leur a rien proposé, d'autres expriment que les stage suggérés «leur paraissaient inappropriés».

«Les commentaires que certains ont émis à l'égard des programmes sont très négatifs », les mesures sont considérées «inefficaces pour la réinsertion au marché du travail».

Beaucoup de prestataires «échangent généralement plus avec les agents (d'aide sociale) que par téléphone». «Ils ont l'impression d'être traités comme des numéros de dossier et les agents semblent décourager fortement ce type de clientèle souvent très démunie.»D'autres prestataires ont une opinion plus positive des agents d'aide sociale et plusieurs considèrent que ces fonctionnaires «sont débordés de travail».

Avec la participation de William Leclerc